Les militaires russes déployés en Ukraine ont durci leur approche contre des villes assiégées lundi sans tenir compte de l’ouverture de fragiles pourparlers de paix entre les deux pays, faisant craindre une intensification potentiellement dévastatrice de l’offensive ordonnée par le Kremlin dans les prochains jours.

Une pluie de roquettes a notamment frappé des quartiers résidentiels de Kharkiv, dans le nord-est du pays, tuant au moins sept civils et en blessant des dizaines d’autres, selon un compte rendu des autorités ukrainiennes.

De nombreuses détonations ont aussi été entendues à Marioupol, ville importante du sud que les troupes russes tentent depuis plusieurs jours de conquérir en vue de relier la région de Rostov-sur-le-Don, en Russie, à la Crimée, sous contrôle de Moscou depuis 2014.

Le durcissement observé dans les deux villes fait craindre à nombre d’observateurs que le président Vladimir Poutine s’impatiente et ait ordonné à l’armée d’user de méthodes plus frontales pour en arriver à s’imposer et, ultimement, à faire tomber le gouvernement du président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Convoi militaire à Ivankiv

L’avancée vers Kiev d’un convoi militaire long de près de 60 kilomètres, selon l’agence Reuters, ajoute aux inquiétudes, l’armée ukrainienne évoquant une possible tentative d’encerclement de la capitale.

« Nombreuses victimes civiles »

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a indiqué à l’Agence France-Presse lundi que la campagne militaire russe devenait « de plus en plus brutale » et faisait de « nombreuses victimes civiles » alors que le Royaume-Uni dénonçait des « bombardements barbares » contre la population ukrainienne.

Les Nations unies faisaient état lundi de 102 civils tués et de 304 blessés depuis le début de l’offensive la semaine dernière. Le bilan réel, selon l’organisation internationale, serait « considérablement » plus élevé.

Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a déclaré qu’il entendait ouvrir rapidement une enquête sur la situation en Ukraine et s’assurerait d’englober dans ses travaux tout crime de guerre potentiel survenant durant le conflit en cours.

« Poutine n’est pas connu comme étant quelqu’un qui admet ses erreurs et qui recule face à l’adversité. Je m’attends clairement à ce qu’il continue à intensifier la pression militaire sur l’Ukraine même si ça signifie que plus de civils seront tués », note Eugene Rumer, spécialiste de la Russie rattaché au Carnegie Endowment for International Peace.

Le président russe, dit-il, n’avait pas prévu que les pays occidentaux soutenant Kiev réussiraient à s’unir pour appliquer une série de sanctions financières qui ont fait plonger le rouble et menacent de secouer durement l’économie russe. Ni qu’ils décideraient d’envoyer une quantité importante d’armes et de matériel militaire pour soutenir l’armée ukrainienne, y compris des avions de chasse, selon l’Union européenne.

« Il faut s’attendre à une escalade militaire plutôt qu’une longue impasse. […] Poutine ne peut pas reculer. S’il le fait, c’est la fin de son règne », pense Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa.

Des demandes irrecevables

Le chef d’État russe avait donné son aval lundi à une première séance de pourparlers avec des représentants du gouvernement ukrainien, suggérant une possible ouverture à une solution négociée, mais les demandes présentées par Moscou lors de la rencontre tenue en Biélorussie étaient irrecevables pour Kiev, note M. Arel.

Moscou, dit-il, veut que l’annexion de la Crimée soit reconnue, que le gouvernement ukrainien soit remplacé, que le pays soit désarmé et qu’il donne l’assurance qu’il demeurera neutre, écartant toute demande d’adhésion à l’OTAN ou à l’Union européenne.

Ce sont des demandes inacceptables pour l’Ukraine, qui réclame, elle, un cessez-le-feu et le départ des troupes russes.

Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa

Eugene Rumer note que la délégation russe n’est pas composée de représentants de haut niveau du régime, suggérant que Vladimir Poutine « n’est pas vraiment intéressé par le processus » à ce stade, même si une deuxième rencontre se tiendra « bientôt ».

« Il voulait peut-être simplement voir ce que l’Ukraine était disposée à mettre sur la table », suppose l’analyste.

Les intentions de la Russie ont été largement discutées lundi aux Nations unies lors d’une assemblée générale spéciale, durant laquelle nombre de pays ont demandé la fin des hostilités.

« Trop, c’est trop. Les soldats doivent rentrer dans leurs casernes », a déclaré le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

Le représentant de l’Ukraine a prévenu que la destruction du pays serait fatidique à l’organisation internationale, alors que la Russie a évoqué son droit à l’autodéfense pour justifier l’intervention militaire. Une résolution demandant le retrait des soldats russes doit être soumise au vote ce mardi.

La Chine, qui refuse de condamner l’action de Moscou, a plaidé pour la recherche d’une solution négociée tout en insistant sur le fait que le monde n’a « rien à gagner » d’une nouvelle guerre froide.

La menace du nucléaire

L’évocation des décennies d’affrontements entre la Russie et les États-Unis survient au lendemain de l’annonce par le président russe de sa décision de mettre en alerte le système de dissuasion nucléaire de son pays.

La sortie de Vladimir Poutine, largement comprise dans les pays occidentaux comme une tentative d’intimidation visant à miner les soutiens de Kiev, a été minimisée lundi par les États-Unis, qui affirment n’avoir constaté aucune action concrète découlant de l’annonce.

« Nous ne voyons aucune raison de changer nos propres niveaux d’alerte », a souligné un porte-parole du département d’État américain, Ned Price, cité par l’Agence France-Presse.

Dominique Arel pense que les menaces du président russe doivent être prises au sérieux à la lumière de sa décision d’envahir l’Ukraine.

« C’était un geste tellement radical qu’il y a tout lieu de penser que plus rien n’est impossible », prévient le chercheur, qui a longtemps considéré, comme de nombreux analystes, le déploiement massif de troupes autour de l’Ukraine comme un bluff plutôt qu’une réelle menace.

M. Rumer est aussi d’avis qu’il ne faut pas rejeter d’un revers de main l’évocation de l’arsenal nucléaire russe comme une simple « bravade » de la part du chef d’État russe.

« Il est en train de dire au monde à quel point il est sérieux », souligne le chercheur, qui juge la crise en cours « extrêmement dangereuse ».