(Paris) La supériorité théorique de l’aviation russe sur son adversaire ukrainienne est écrasante, mais tarde à se traduire dans les faits depuis le début de la guerre, un phénomène qui explique en partie la lenteur de la progression russe.

À ne regarder que les chiffres, le déséquilibre est impressionnant : 132 bombardiers à zéro, 832 chasseurs à 86, 358 avions de transports contre 63, selon les chiffres de Janes, centre de recherche britannique spécialisé dans la guerre.

Le reste est à l’avenant, à l’exception des drones. L’Ukraine en possède 66 contre 25 seulement pour les Russes. Kiev ne fait donc pas le poids, même s’il est évident que Moscou n’engage pas toute son aviation dans la guerre.  

Mais ce déséquilibre criant ne se traduit pas autant qu’attendu par les experts occidentaux. « Si la Russie dispose de l’avantage des chiffres, elle n’a pas conquis le contrôle du ciel jusqu’à empêcher l’aviation ukrainienne d’opérer et d’infliger des dégâts à l’effort de guerre russe », analyse pour l’AFP Gareth Jennings, expert en aviation militaire chez Janes.

« Son aviation ne peut se concentrer sur le seul soutien de ses troupes au sol […], hautement exposées aux attaques aériennes. Pour le moment au moins, elle essaye de neutraliser les défenses antiaériennes (ukrainiennes) au sol et dans l’air ».

Contrôle de la frontière

Mardi, des photos satellites montraient un convoi russe s’étirant sur des dizaines de kilomètres et progressant lentement vers la capitale ukrainienne. Une manœuvre possible uniquement si les Russes se sentent à l’abri d’une frappe de l’aviation ennemie.

Le convoi est sans doute convenablement protégé, estime Pierre Razoux, directeur de recherche de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES). « Les Russes ont très certainement une supériorité aérienne sur une bande proche de la frontière de 200 kilomètres environ et autour des objectifs principalement ciblés », explique-t-il.  

« Si les Ukrainiens ont encore des moyens aériens, ils ne vont pas les risquer face à ce genre de position où ils sont quasiment sûrs de se faire détruire ».

Mais ce convoi ne dit pas tout. Il n’explique pas pourquoi l’aviation russe n’a pas pris le contrôle de l’ensemble du ciel après deux jours consacrés, en début de conflit, à détruire notamment les pistes des bases aériennes ukrainiennes et les tours de contrôle.  

Le procédé est d’un grand classicisme dans la conduite de la guerre, mais il aurait dû logiquement être suivi d’une vaste offensive aérienne. Or, pour l’heure, il n’en a rien été.

« La sous-efficacité des forces aériennes russes fait partie des éléments surprenants du conflit. On est loin, malgré l’expérience syrienne de la précision, de la souplesse et des capacités de coordination interarmées des forces aériennes occidentales », relevait sur Twitter mardi l’ancien colonel français Michel Goya.

L’avenir en question

Les Occidentaux s’attendaient à un déferlement de quelque 300 chasseurs positionnés à proximité des principales zones de contact. Rien n’indique que cela n’arrivera pas dans les jours à venir.

Kiev, au-delà sans doute de ce qui était attendu, a aussi fait preuve de l’efficacité de son dispositif antiaérien. L’armée russe a donc concrètement le choix entre frapper d’assez haut, au risque de provoquer un carnage civil, ou de s’approcher de ses cibles et de s’exposer à l’ennemi.  

« On a l’impression que Poutine ménage la chèvre et le chou. Il fait une énorme démonstration de puissance, mais n’a pas encore franchi certaines limites, comme s’emparer d’une ville quel qu’en soit le prix », constate Pierre Razoux.

Des commentaires qui ne valent cependant que pour la semaine passée et qui ne présagent en rien de l’avenir.  

Justin Bronk, expert de l’aviation militaire du centre de réflexion britannique RUSI, évoquait lundi d’autres hypothèses pour expliquer la faiblesse russe : les stocks affaiblis de certaines munitions à haute précision utilisées abondement en Syrie, la crainte de faire des victimes russes au sol, le faible nombre d’heures d’exercice des pilotes russes.

Mais il tempérait aussitôt son analyse.  

La guerre n’a commencé que jeudi et pourrait durer longtemps, arguait-il. « La flotte de chasseurs russes conserve ses capacités de destruction, elle pourrait se déchaîner rapidement contre des cibles aériennes et au sol dans les prochains jours ».