(PARIS) La reconnaissance par Moscou des régions séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine et l’ordre de déployer des troupes russes sur place mettent les experts au défi de prédire si Vladimir Poutine est en train de préparer une incursion plus importante encore.

Les observateurs sont divisés sur la stratégie russe en Ukraine : pour certains, une offensive de grande ampleur constitue un scénario crédible, pour d’autres le Kremlin compte maintenir une forme de statu quo, du moins pour l’instant.

Dans une longue allocution télévisée lundi soir jugée « paranoïaque » par la présidence française, Vladimir Poutine a donné une leçon d’histoire revisitée par le Kremlin, présentant l’Ukraine comme un pays artificiel et indissociable de la Russie.

Il a intimé à l’Ukraine d’immédiatement cesser « ses opérations militaires » contre les séparatistes, au risque d’assumer « la responsabilité de la poursuite de l’effusion de sang ».

Le maître du Kremlin a évoqué l’envoi de l’armée russe dans les territoires rebelles prorusses, immédiatement après avoir reconnu leur indépendance. Son entrée en Ukraine dépendra de la situation « sur le terrain », a-t-il toutefois relativisé mardi.

Voici les scénarios possibles que la Russie pourrait envisager en Ukraine :

Invasion massive

Washington et Londres avertissent depuis des semaines être en possession de renseignements indiquant que la Russie a l’intention d’envahir l’Ukraine et d’aller jusqu’à la prise de sa capitale Kiev.

« Tout laisse croire que la Russie prévoit une attaque massive en Ukraine » après l’envoi de troupes dans les territoires séparatistes du Donbass, a déclaré mardi le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

Les États-Unis ont retiré leurs diplomates de ce pays pro-occidental et qualifié de « début d’une invasion » la décision de Vladimir Poutine d’y reconnaître l’indépendance de régions prorusses, selon les propos d’un haut responsable de la Maison-Blanche, Jonathan Finer. Le premier ministre britannique Boris Johnson a quant à lui estimé mardi que la manœuvre annoncée par le Kremlin allait servir de « prétexte à une offensive d’envergure ».

Ces dernières semaines, la Russie a massé quelque 150 000 soldats, selon Washington, aux frontières ukrainiennes. Pour nombre d’experts, ce vaste déploiement ne peut pas être seulement destiné à appuyer la reconnaissance de l’indépendance des régions de Donetsk et de Lougansk, déjà contrôlées par des séparatistes prorusses.  

« C’est la première étape de ce qui sera sans doute une opération militaire russe à grande échelle pour imposer un changement de régime », prédit Michael Kofman, le directeur Russie du Centre américain d’analyses navales.

Incursion poussée

Si la Russie jugeait politiquement et militairement trop risqué de tenter de prendre Kiev, elle pourrait toujours choisir l’option d’une incursion plus limitée dans le territoire ukrainien.

Les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk (DNR et LNR) ne contrôlent pas l’ensemble des régions administratives éponymes, mais elles en revendiquent la totalité du territoire.

Moscou pourrait déployer ses forces armées pour bouter le gouvernement ukrainien hors de ces celles-ci, d’autant que Vladimir Poutine a déclaré mardi que son pays reconnaissait la souveraineté des séparatistes sur l’ensemble des régions de Lougansk et de Donetsk, et pas seulement sur les zones sous leur contrôle,

La Russie pourrait être tentée de pousser ses pions vers le sud en direction de la ville de Marioupol, dans l’espoir d’établir une connexion avec la péninsule de Crimée en mer Noire, annexée par Moscou en 2014, mais reliée à la Russie par un simple pont.

Nouveau statu quo

Les médias d’État russes présentent la reconnaissance des deux régions ukrainiennes comme une victoire pour Moscou, qui s’ajoute au tour de force de Vladimir Poutine d’avoir placé en haut de l’ordre du jour occidental ses préoccupations sécuritaires.

Pour certains experts, l’allocution-fleuve du président russe sonnait comme le point final de l’escalade entamée ces dernières semaines, la Russie devant être frappée par de nouvelles sanctions et l’Allemagne venant de suspendre le projet de gazoduc Nord Stream II, crucial pour Berlin comme pour Moscou.

« Russie-Ukraine : pas de guerre majeure. En effet, stabilisation de la ligne de front pour l’instant », a réagi immédiatement après le discours de M. Poutine Dmitri Trénine, le directeur du Carnegie Center Moscou, tout en jugeant que le Kremlin « fait un pas important » en reconnaissant l’indépendance des régions séparatistes ukrainiennes, niant de facto la souveraineté du gouvernement de Kiev.