Commencé début septembre, le superprocès historique des attentats du 13 novembre 2015 se poursuit à Paris avec l’interrogatoire des accusés. Mais entre le mutisme des uns et les retards causés par la COVID-19, les audiences n’ont pas encore trouvé leur rythme.

« On me fait passer pour un islamiste radicalisé, je le conteste ! »

Yassine Atar parle beaucoup. Vite. S’agite. Gesticule. Se justifie. Son frère était peut-être membre du groupe État islamique. Mais pas lui. Et il était « impatient » de pouvoir enfin s’exprimer.

Yassine Atar risque la prison à vie pour sa participation aux attentats du 13 novembre 2015. Il est soupçonné d’avoir détenu la clé de la planque bruxelloise où s’est réfugié Salah Abdeslam après les attaques et où auraient été fabriquées les ceintures d’explosifs utilisées à Paris.

Les faits qui lui sont reprochés devraient théoriquement lui valoir 20 ans de réclusion pour AMT (association de malfaiteurs terroristes). Mais comme il possède déjà un casier judiciaire, le Belge d’origine marocaine encourt maintenant la perpétuité.

Jusqu’à quel point s’était-il radicalisé ? C’est ce que la cour tente aujourd’hui de mesurer.

Le juge confronte Yassine Atar à des messages et à des enregistrements témoignant d’une vision rigoriste de l’islam, trouvés dans son téléphone cellulaire et sur une clé USB. Il ne voulait pas que sa sœur se maquille. Il ne voulait pas que sa femme accouche avec un homme médecin. Il employait les termes « mécréants » et « kouffars » pour ceux qui ne respectaient pas la religion musulmane.

Détail non négligeable : il est aussi le frère d’Oussama Atar, cadre et responsable des opérations extérieures du groupe État islamique (EI), soupçonné d’avoir commandité les attentats du 13-Novembre.

Mais Yassine, verbomoteur, a réponse à tout. Chemise grise, jeans, cheveux ras, masque KN95 sur le visage, il esquive toutes les flèches du magistrat.

Les textos à tendance fondamentaliste ? « Il n’y en a que quelques-uns sur les milliers que vous avez trouvés. »

La clé USB incriminante ? « Elle n’était pas à moi. »

Les amis douteux sur Facebook ? « Je ne les connaissais pas personnellement. »

Les interdictions à sa femme ? « Ma femme était très heureuse. Elle conduisait une grosse voiture… »

Les centaines de visites en prison à ses deux cousins radicalisés, les frères Bakraoui, futurs kamikazes à l’aéroport de Bruxelles ? « Jamais ils ne m’ont parlé de la Syrie… »

Quant à son frère, également accusé dans ce procès mais présumé mort en 2017, Yassine s’en dissocie d’entrée de jeu, non sans douleur.

« C’est un sujet sensible, dit-il. Il m’a détruit. Il a détruit ma famille… »

Mutisme et faux départs

Bienvenue dans le nouveau chapitre du procès des attentats du 13 novembre 2015, entamé début janvier au palais de justice de Paris.

Après les témoignages bouleversants des survivants ou des proches des victimes qui ont marqué les audiences pendant l’automne, c’est maintenant le tour des accusés.

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Sur les 20 accusés, ils sont 14 à comparaître.

Des 14 présumés terroristes ou complices présents dans le box, une demi-douzaine risquent la perpétuité (voir autre onglet). Les autres, entre 6 et 20 ans de prison, pour leur participation plus ou moins directe aux attaques qui ont fait 130 morts au Bataclan, sur les terrasses et au stade de France, il y a un peu plus de six ans, à Paris.

Cette séquence, très attendue, peine toutefois à trouver son rythme. Les audiences ont été reportées à deux reprises, après que deux accusés eurent reçu un diagnostic de COVID-19, dont Salah Abdeslam, principal inculpé et seul survivant du commando de la mort.

À ces faux départs s’ajoutent quelques couacs sur le plan des interrogatoires, alors que deux des accusés ont décidé d’exercer leur droit au silence.

Soupçonné d’avoir joué un rôle important dans la logistique des attentats, Mohamed Bakkali a dit vouloir se taire parce qu’il s’estime « jugé d’avance ». Osama Krayem, qui est considéré comme un cadre supérieur de l’EI, refuse pour sa part de monter dans le box des accusés, parce que ce procès est selon lui « une illusion ».

Me Négar Haéri, avocate de la défense, suggère une forme de découragement. « Il y a le sentiment, peut-être, qu’il n’y a pas de marge de manœuvre. S’ils ont l’impression qu’on ne les écoute pas, on peut comprendre qu’ils se disent : “Je serai toujours considéré comme un coupable…” Il y a cette pression énorme qui fait qu’à un certain moment, on peut lâcher. »

Mais pour MAurélie Cerceau, avocate de quatre survivants, ce mutisme relève plutôt d’un repli calculé.

Pour l’instant, il semble que ceux qui parlent sont ceux qui n’ont rien à perdre, et ceux qui ne parlent pas sont ceux qui n’ont rien à gagner.

Me Aurélie Cerceau, avocate de quatre survivants

Questions et insatisfactions

Dans la salle d’audience, ces silences agacent. Les survivants, qui sont venus chercher des explications, restent sur leur faim.

C’est le cas de Bruno Poncet, qui ne cache pas son insatisfaction. Le soir du 13 novembre 2015, cet ancien syndicaliste était au Bataclan, avec un ami et son fils de 10 ans. Depuis septembre, il vient au moins trois fois par semaine au palais de justice. Il cherche à savoir pourquoi ces jeunes radicalisés sont passés de la petite délinquance au terrorisme absolu.

Je ne suis pas empathique, mais je veux comprendre. Comprendre leur cheminement, leur basculement, leurs personnalités… Ils ont fait ça pour l’aventure ? Parce qu’ils se sont emballés entre eux ?

Bruno Poncet, survivant du Bataclan

Ces questions, comme beaucoup d’autres, seront au cœur des audiences dans les prochaines semaines. Les accusés vont comparaître les uns après les autres pour expliquer leur rapport à la religion, à la radicalisation, de même que leurs liens avec les attentats, avec les probables longueurs à prévoir pour ce procès-fleuve d’une durée de 9 mois, qui implique 2400 parties civiles, 330 avocats et 1 million de pages de procédure, en plus de la quinzaine d’accusés.

« C’est le rythme d’une longue traversée. On a quitté les rivages tourmentés des témoignages des parties civiles, les émotions fortes, pour entrer dans l’examen méthodique d’une enquête très complexe », résume Soren Seelow, qui couvre le procès quotidiennement pour le journal Le Monde et cosigne La cellule, roman graphique sur la filière terroriste des attentats.

Le mutisme de certains accusés aura-t-il un effet d’entraînement ? La semaine prochaine s’annonce particulièrement intéressante, alors que comparaîtra Salah Abdeslam, ennemi numéro 1 de la France.

La salle d’audience, plutôt clairsemée cette semaine, pourrait se remplir de nouveau.

Qui sont-ils ?

Quatorze d’entre eux sont dans le box. Les six autres sont présumés morts ou introuvables. Profil des vingt accusés.

Salah Abdeslam, 31 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Salah Abdeslam, seul survivant des commandos de la mort

Tous les regards seront tournés vers lui, et pour cause : Salah Abdeslam est le seul survivant des commandos de la mort. Le soir du 13 novembre 2015, il dépose les trois kamikazes du Stade de France avant d’abandonner sa voiture et sa ceinture d’explosifs, pour des raisons toujours inconnues. Il est exfiltré de Paris par deux amis (Mohamed Amri et Hamza Attou, également accusés) et est arrêté quatre mois plus tard à Bruxelles. Risque la perpétuité.

Mohamed Abrini, 36 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mohamed Abrini, à gauche au second plan, derrière Salah Abdeslam et ses avocats

Jugé pour avoir fourni des armes et accompagné le « commando de la mort » à Paris, en plus d’avoir loué des appartements pour cacher les terroristes en banlieue parisienne. Ce « logisticien des attentats » est aussi connu comme « l’homme au chapeau » qui devait se faire exploser quelques mois plus tard lors du double attentat suicide de l’aéroport de Bruxelles. Encourt la prison à vie.

Osama Krayem, 29 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Osama Krayem

Considéré comme un membre de haut rang du groupe État islamique, il apparaît sur une vidéo en Syrie dans laquelle un pilote jordanien est brûlé vif. Accusé d’avoir organisé les attentats du 13 novembre 2015 et ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles. Né en Suède, il avait été présenté comme un modèle d’intégration lors d’un reportage pendant son adolescence. Risque la prison à vie.

Mohamed Bakkali, 34 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mohamed Bakkali

Soupçonné d’être le logisticien des attentats du 13-Novembre, il a aussi été condamné à 25 ans de prison pour avoir participé à la préparation de l’attentat (avorté) du train Thalys en août 2015, un verdict qu’il nie et pour lequel il a fait appel. Ce qui explique en partie sa décision de rester silencieux au procès actuel. Risque la prison à vie.

Sofien Ayari, 28 ans

PHOTO DIDIER LEBRUN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Sofien Ayari, au tribunal de Bruxelles, en février 2018

Ses traces ont été trouvées dans plusieurs planques ayant servi à la préparation des attentats du 13-Novembre. Il a rejoint l’EI en 2014 et est retourné en Europe en 2015. Arrêté en même temps que Salah Abdeslam. Risque la perpétuité.

Adel Haddadi, 34 ans, et Muhammad Usman, 28 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Adel Haddadi

Ces deux artificiers de l’EI ont emprunté la route des migrants pour venir en Europe, un mois avant les attentats. Arrêtés en Autriche avant d’avoir accompli leur présumée mission, dont la teneur exacte demeure inconnue. Risquent 20 ans de prison.

Yassine Atar, 35 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Yassine Atar

Accusé d’avoir détenu la clé de l’appartement bruxellois où s’est réfugié Abdeslam après les attentats. Risque la perpétuité.

Farid Kharkhach, 39 ans

Accusé d’avoir fourni de fausses cartes d’identité aux membres du commando du 13-Novembre. Risque 20 ans.

Ali El Haddadi Asufi, 36 ans

Accusé d’avoir fourni des armes. Risque 20 ans.

Mohammed Amri, 33 ans

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mohammed Amri

Il est allé chercher Salah Abdeslam à Paris, la nuit des attentats. Risque 20 ans.

Ali Oulkadi

A aidé Salah Abdeslam à se cacher, le lendemain des attaques. Risque 20 ans.

Abdellah Chouaa, 40 ans

Soupçonné d’avoir offert un soutien logistique à la cellule. Risque 20 ans.

Hamza Attou, 27 ans

Il était passager de la voiture qui est allée chercher Abdeslam à Paris après les attentats. Passible de six ans de prison.

Accusés mais absents…

Cinq d’entre eux sont présumés morts, le sixième serait dans une prison turque.

Parmi eux, Oussama Atar, soupçonné d’être la tête pensante et l’agent recruteur des attentats. Identifié au sein de l’EI sous le nom de guerre d’Abou Ahmed al-Iraki, il aurait été tué lors d’une frappe aérienne en novembre 2017, en Syrie. Frère de Yassine Atar.