(Kiev) Des stationnements souterrains, des stations de métro, des bunkers datant de la guerre froide et même un bar de danseuses nues : la Ville de Kiev affirme avoir mis en œuvre un réseau d’abris anti-bombardements capable d’accueillir plus de trois millions de personnes, au moment où le Canada recommande à ses ressortissants de quitter la capitale ukrainienne en raison des tensions régionales avec la Russie.

Écrasé entre d'immenses tours résidentielles de l’ère soviétique, le petit édifice municipal ne paie pas de mine : une modeste bibliothèque, un bureau d’assistance aux anciens combattants, un local de police communautaire inoccupé, un babillard public. Mais l’endroit abrite un secret dans ses entrailles.

Le fonctionnaire Yevgen Gerasumov ouvre une porte et dévoile à La Presse un escalier d’une vingtaine de marches. En bas, sous la terre, se cache un bunker protégé par deux lourdes portes hermétiques blindées. Si la ville est bombardée, c’est ici que doit être assurée la continuité des services essentiels pour ce district de la capitale, comme l’alimentation en électricité, l’alimentation en eau et les voies de transport.

PHOTO VINCENT LAROUCHE, LA PRESSE

L’abri est situé sous un petit bureau municipal dans lequel on trouve une bibliothèque.

« Dans un dépôt comme celui-ci, les travailleurs peuvent se réfugier et poursuivre leurs tâches », explique M. Gerasumov.

Relique de la guerre froide

L’abri a été construit en 1982, en pleine guerre froide, alors que les États-Unis avaient un arsenal nucléaire braqué sur l’URSS, dont faisait partie l’Ukraine. Aujourd’hui, avec plus de 100 000 militaires russes massés près des frontières ukrainiennes et une rébellion armée prorusse dans l’est du pays, les autorités le tiennent prêt, au cas où.

L’endroit est réservé en priorité aux fonctionnaires municipaux. Les pièces sont spartiates, éclairées par la lumière crue d’ampoules nues. Des bureaux, quelques lits superposés dans une salle de repos, des toilettes et des citernes remplies d’eau. Un système de ventilation peut être activé à force de bras, grâce à une manivelle. Des connexions internet et téléphonique filaires assurent le lien avec le monde extérieur. Si les deux sorties sont inutilisables, un petit tunnel d’un mètre carré permet une évacuation d’urgence.

  • Sortie de secours vers un tunnel

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    Sortie de secours vers un tunnel

  • Toilettes de l’abri

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    Toilettes de l’abri

  • Citernes remplies d’eau

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    Citernes remplies d’eau

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Le bunker peut officiellement accueillir 350 personnes. En forçant un peu, « on pourrait atteindre 500 occupants », affirme M. Gerasumov. À travers la capitale, 500 abris sont prévus pour les travailleurs des services essentiels, et environ 4500 pour la population générale. Ces derniers sont souvent des structures souterraines à usages mixtes, comme des sous-sols d’édifices et des stationnements.

« L’abri anti-bombardement clé dans la ville de Kiev sera aussi le métro, qui – Dieu nous en préserve – sera prêt à accueillir les gens en cas d’attaque », a déclaré à la télévision locale le maire Vitali Klitschko, un ancien boxeur professionnel surnommé « Dr Ironfist ».

Des pourparlers diplomatiques sont en cours pour faire baisser la tension dans la région et le ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine a répété mercredi que les forces russes massées près des frontières de l’Ukraine n’étaient pas suffisantes pour une invasion. Mais l’administration municipale de Kiev constate tout de même un intérêt de la population pour les structures de protection.

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Yevgen Gerasumov, fonctionnaire et responsable de l’abri

« Les gens appellent pour savoir où ils sont, comment on s’y rend, quoi y apporter », affirme M. Gerasumov.

« Il n’y a pas de panique », assure-t-il toutefois.

Une carte interactive a été publiée sur l’internet et permet de trouver instantanément l’abri le plus proche. En cas de besoin, des sirènes dispersées à travers la Ville intimeraient aux citoyens de se mettre à l’abri.

Rue Velyka Vasylkivska, près du planétarium de Kiev, une flèche peinte sur le mur indique la présence de l’abri numéro 102 dans un sous-sol, ainsi que le numéro à composer pour se faire ouvrir au besoin. L’endroit est occupé en temps normal par le bar d’effeuilleuses Penthouse, mais le propriétaire doit laisser entrer tout le monde en cas d’urgence.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU CABARET PENTHOUSE

Le bar Penthouse, au sous-sol d’un immeuble de Kiev, fait partie des abris anti-bombardements de la municipalité.

Quelques controverses ont éclaté dans les médias au sujet d’adresses ou de numéros de téléphone erronés, d’abris barricadés devenus inaccessibles, d’erreurs dans la carte. La ville affirme mener des inspections pour s’assurer que les infrastructures seront à la hauteur des attentes.

Résolution pacifique recherchée

Pendant ce temps, l’état de la situation dans la région pousse le gouvernement canadien à inviter ses ressortissants à quitter l’Ukraine. « Si vous êtes dans le pays, vous devriez [partir] par des [vols] commerciaux tant qu’ils sont disponibles », a précisé l’ambassade du Canada à Kiev mardi.

Les États-Unis ont quant à eux annoncé le déplacement de troupes supplémentaires en Europe mercredi. Environ 1000 militaires qui se trouvaient en Allemagne seront envoyés en Roumanie, et 2000 militaires supplémentaires partiront des États-Unis pour se déployer temporairement en Pologne et en Allemagne, selon le plan de Washington.

Moscou a immédiatement dénoncé une manœuvre « injustifiée, destructrice, augmentant les tensions militaires et réduisant le champ pour les décisions politiques », selon l’agence Interfax. La Russie réclame depuis longtemps l’arrêt de l’expansion de l’OTAN vers ses frontières et une assurance que l’Ukraine ne se joindra pas à l’alliance militaire.

Par ailleurs, le premier ministre britannique Boris Johnson a eu une conversation avec le président Vladimir Poutine au sujet de la situation de l’Ukraine mercredi. Ils se sont engagés à chercher « une résolution pacifique » à la crise.

« Les dirigeants ont convenu que l’aggravation n’était dans l’intérêt de personne », a souligné le gouvernement britannique.

En savoir plus
  • 2,9 millions
    Population desservie par l’administration de Kiev
    Service de statistique de l’État ukrainien
    140 km
    Distance routière entre Kiev et la frontière de la Biélorussie, où sont stationnées des troupes russes
    Google Maps