C’était une quasi-certitude, c’est désormais officiel. Après un faux suspense de près de quatre mois, Éric Zemmour a finalement annoncé sa candidature pour l’élection présidentielle française de 2022.

Le polémiste de 63 ans a fait son annonce mardi dans une vidéo YouTube d’une dizaine de minutes semblant sortir tout droit des années 1940. Assis entre livres anciens et micro d’époque (clin d’œil à l’appel du 18 juin du général de Gaulle ?), il a livré un message au ton dramatique, sur fond d’images de violences et de désordre, rythmées par le 2mouvement de la 7symphonie de Beethoven.

Une mise en scène volontairement surannée, qui colle au mieux à sa vision nostalgique d’un pays qu’il estime en déclin, voire en « décadence ».

Invoquant Jeanne d’Arc, Notre-Dame, le Concorde, Jean Gabin, Johnny Hallyday et autres références ultra-patriotiques, Zemmour explique qu’il brigue l’Élysée pour « sauver la France ».

De qui ? De quoi ? La réponse est assez claire.

Son discours, résolument populiste, s’en prend aux musulmans, sa bête noire, mais aussi aux « élites, aux bien-pensants », aux professeurs, syndicalistes, journalistes et même aux tenants de la « théorie du genre », qui proposent une vision « islamo-gauchiste » du monde.

Exaltant un « sentiment de dépossession », il fustige « la tyrannie des minorités » et appelle « la majorité » à reprendre le contrôle de la nation.

Clou identitaire

« Vous vous sentez étrangers dans votre propre pays ? Vous êtes exilés de l’intérieur ? » Qu’on se rassure. Lui président, « nos filles ne seront pas voilées, nos fils ne seront pas soumis », dit-il, regrettant explicitement une « tiers-mondisation » du pays, « aggravée par l’immigration ».

Rien de bien nouveau pour cette star médiatique archiconnue dans l’Hexagone. L’ancien chroniqueur du journal Le Figaro et de la chaîne de télé CNews tape sur le même clou identitaire que dans ses livres et ses nombreuses interventions médiatiques.

L’officialisation de sa candidature survient toutefois à un drôle de moment.

Après des sondages qui le plaçaient devant sa principale rivale à l’extrême droite, Marine Le Pen, le chroniqueur vedette était en net recul depuis quelques semaines. Sans parler de ses récents faux pas, comme ce doigt d’honneur adressé à une passante ou son apparition controversée au Bataclan pour le 6anniversaire des attaques du 13-Novembre.

PHOTO MICHEL EULER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Marine Le Pen, rivale d’Éric Zemmour

Mais c’est peut-être aussi pourquoi il a choisi de faire son annonce mardi. « Mon hypothèse est qu’il avait besoin d’un second souffle », suggère Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble. « Il n’arrivait plus à avancer. Il cherchait de l’air et c’est ce qu’il est allé chercher, car son succès ne repose que sur l’exposition médiatique. »

Aucune chance de gagner ?

Rien ne dit, maintenant, qu’Éric Zemmour pourra mener son projet jusqu’au bout.

Notant qu’il n’a actuellement recueilli que la moitié des 500 signatures nécessaires, Olivier Ihl souligne que Zemmour n’a « pour l’instant qu’une candidature médiatique, mais pas encore administrative ». Son dossier devra être complété un mois et demi avant le premier tour de l’élection, prévu le 10 avril prochain.

Selon certains, ses chances de victoire seraient par ailleurs assez nulles.

Éric Zemmour séduit pour l’heure une frange de l’électorat du Rassemblement national, déçue par le recentrage d’une Marine Le Pen qui se veut plus fréquentable. Mais il lui faudra étoffer son programme politique s’il souhaite ratisser plus largement à droite.

« Zemmour est l’homme d’un seul thème, l’immigration. C’est une grosse niche pour le moment, mais ça reste une niche. Il ne peut pas seulement tenir là-dessus. Il devra répondre à d’autres questions, comme le pouvoir d’achat et la dette liée à la crise sanitaire, qui préoccupent les Français », observe Bruno Cautrès, chercheur au CEVIPOF.

Il incarne bien une candidature de rupture, mais n’a aucune capacité de rassemblement. Or, pour gagner dans un scrutin de cette nature, il faut pouvoir rassembler.

Olivier Ihl, professeur à l’Université de Grenoble

Reste l’effet de nouveauté. La fraîcheur du candidat inexpérimenté. Zemmour joue la carte du politicien antisystème, parlant au nom des déclassés et de la France oubliée.

Cette tactique a pu sourire à Donald Trump aux États-Unis ou à Beppe Grillo en Italie.

Bouleverser la conversation politique

Mais François Jost compare plutôt Zemmour à l’humoriste Coluche, qui avait fait une intrusion remarquée dans la campagne présidentielle de 1981, avec son discours anarchogauchiste.

« Ce sont deux personnes que rien ne rapproche, mais Coluche était aussi quelqu’un d’assez populiste », souligne le spécialiste des médias, professeur à la Sorbonne. « Pour eux, tous les hommes politiques étaient des pourris, des menteurs. Ils disent qu’ils vont apporter quelque chose de neuf. »

Coluche s’était désisté de la course, alors qu’il revendiquait 16 % des voix. Mais son passage éclair avait « bouleversé la conversation politique », rappelle François Jost. Même s’il ne l’emporte pas, Éric Zemmour pourra probablement en dire autant.

La riposte, en tout cas, s’organise. Médias audiovisuels et personnalités ont fustigé mardi l’utilisation de leurs images dans la vidéo de Zemmour, certains menaçant le polémiste de poursuites judiciaires, tandis que des syndicats appelaient à manifester pour faire « taire » celui qui tiendra dimanche sa première réunion politique officielle, au Zénith de Paris, où l’on craint d’ailleurs du grabuge.

Voilà qui promet.

Avec l’Agence France-Presse