(Sofia) Encore inconnus du public il y a six mois, deux entrepreneurs quadragénaires, diplômés d’Harvard, se sont lancés à la conquête du pouvoir en Bulgarie. Leur ambition : faire table rase de décennies de corruption.

Avec pour toute expérience politique quelques mois au sein d’un gouvernement intérimaire, Kiril Petkov et Assen Vassilev pourraient se hisser jusqu’au deuxième rang aux législatives anticipées dimanche prochain, selon certains sondages, avec l’espoir de sortir enfin leur pays de l’ornière.  

Car la Bulgarie, membre le plus pauvre de l’Union européenne (UE), en est à ses troisièmes élections de l’année, au moment où elle est submergée par la quatrième vague de la pandémie de COVID-19.

PHOTO NIKOLAY DOYCHINOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ex-ministre des Finances par intérim Assen Vassilev, durant une entrevue à Sofia, en Bulgarie, le 10 novembre 2021.

« Nous avons ici tout le potentiel », mais « il faut éradiquer la corruption », résume Kiril Petkov dans un entretien avec l’AFP.

Les deux hommes détonnent dans le paysage politique bulgare.

Né au Canada

M. Petkov, 41 ans, dont le physique avenant lui a valu le surnom de « John Travolta », a grandi au Canada et mis sur pied un laboratoire de probiotiques.  

M. Vassilev, 44 ans, a travaillé comme consultant aux États-Unis puis a créé ses propres entreprises dans le secteur de l’aérien.

« Carrière inattendue »

Ils se sont rencontrés sur les bancs de la prestigieuse Harvard Business School, où ils ont décroché un MBA avant de revenir sur leur terre natale en 2007/08.

À l’époque, la Bulgarie venait d’entrer dans l’Union européenne et « l’espoir était immense », raconte Assen Vassilev.

« Mais en 14 ans, les gouvernements qui se sont succédé ont gaspillé les fonds reçus, via des investissements malheureux ou du vol pur et simple », déplore-t-il.

Il estime à 4 milliards de dollars par an l’argent qui peut être récupéré en combattant la corruption et qui serait « investi dans la santé, l’éducation (pour) améliorer les infrastructures ».

Les deux hommes ont fait partie des milliers de protestataires à être descendus dans la rue à l’été 2020, pour réclamer la démission de l’ancien premier ministre conservateur Boïko Borissov.  

Mais ce n’est qu’en mai dernier, à la suite de l’échec des partis politiques pour former une coalition, qu’il ont fait irruption sur la scène publique, l’un comme ministre de l’Économie, l’autre au portefeuille des Finances.  

« Cette carrière en politique est plutôt inattendue pour nous », confie M. Vassilev.  

Cependant, après des années à avoir prôné le changement au sein d’un « programme Harvard » à l’université de Sofia, « nous ne pouvions refuser le défi » proposé par le président bulgare, explique son acolyte.

Devenus les vedettes de l’équipe, les deux ministres n’ont eu de cesse de dénoncer, jour après jour, les pratiques de corruption du précédent gouvernement.  

Forts de cette popularité, ils ont quitté en septembre le cabinet intérimaire pour fonder leur propre mouvement, « Continuons le changement », en faisant revenir de l’étranger certains de leurs anciens élèves.

Nouveaux messies ?

Avec leur approche « pragmatique », « tout au centre » de l’échiquier politique, le tandem espère dimanche réunir suffisamment de voix pour pouvoir entamer des tractations avec les partis protestataires.  

« Nous sommes prêts au compromis », a lancé Kiril Petkov mardi, en marge d’une rencontre avec des partisans dans l’ouest du pays.  

Car « la formation d’un gouvernement est de l’importance la plus vitale. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une autre élection après celle-là », a-t-il martelé, entre accolades, photos et autographes.

« Il a une vision », confie une retraitée sous couvert de l’anonymat, tandis qu’un groupe Facebook réunissant plus de 100 000 sympathisants souhaite le voir devenir premier ministre.  

Parvan Simeonov, analyste de Gallup International, évoque une sorte de « magie, d’amour irrationnel » pour ces vedettes, mais met en garde.  

« Des messies, nous en avons vu », tempère-t-il.

La Bulgarie aime s’enticher de nouvelles figures, souligne l’expert. Il compare l’engouement actuel à celui qui avait conduit au pouvoir Boïko Borissov, qui a dominé la scène politique pendant une décennie.

Plus récemment, le chanteur antisystème Slavi Trifonov avait arraché une victoire aux élections de juillet avant de tomber aux oubliettes faute d’accord avec les autres partis.

Un sort que le duo veut éviter : « Nous avons conscience que la tâche sera difficile, mais je ne pense pas que ce soit impossible », insiste Assen Vasilev.