(Alger, Madrid) Au centre de plusieurs semaines de crise entre Madrid et Rabat, le chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali, est revenu mercredi en Algérie, en provenance d’Espagne où il a été hospitalisé en avril.

Le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD, autoproclamée), dont Alger est le principal soutien, est en Algérie, selon une source gouvernementale espagnole.  

Il est arrivé à Alger avant l’aube pour y poursuivre sa convalescence, a indiqué l’ambassadeur de la RASD à Alger, Abdelkader Taleb Omar, à l’agence algérienne APS. Son état de santé ne nécessitait plus son hospitalisation en Espagne, où il avait été traité pour des complications liées à la COVID-19, selon lui.   

Brahim Ghali a néanmoins été admis à son arrivée à l’hôpital militaire d’Aïn Naadja à Alger, où il a reçu la visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune et du chef d’état-major de l’armée Saïd Chengriha, selon des images de la TV publique.

Selon l’agence APS, M. Tebboune a qualifié sa visite à l’hôpital de « devoir » et réaffirmé le soutien de l’Algérie à la cause sahraouie. Il a également remercié les autorités espagnoles pour avoir accueilli le chef du Polisario et pour les soins prodigués.

M. Ghali a lui assuré que sa condition était en « nette amélioration ».

Echanges musclés

La question du Sahara occidental, considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU en l’absence d’un règlement définitif, oppose depuis des décennies le Maroc au Front Polisario.

Le Polisario réclame un référendum d’autodétermination prévu par l’ONU, tandis que le Maroc, qui contrôle plus des deux tiers du territoire, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté.  

L’arrivée le 18 avril dans un état critique et dans le plus grand secret de Brahim Ghali en Espagne dans un avion de la présidence algérienne, selon le quotidien El Pais, a déclenché une crise majeure entre Madrid et le Maroc qui enrageait de ne pas avoir été informé.  

Le départ d’Espagne de Brahim Ghali est intervenu après la décision d’un juge espagnol de ne prendre aucune mesure coercitive à son encontre après l’avoir entendu dans le cadre de deux plaintes pour « tortures » et « génocide ». Selon ce juge, « le rapport de l’accusation n’a pas apporté d’indices » montrant que Ghali soit « responsable d’un délit ».

La brouille entre le Maroc et l’Espagne a été ponctuée d’échanges musclés, dont le point culminant a été l’arrivée mi-mai de près de 10 000 migrants dans l’enclave espagnole de Ceuta, dont de nombreux mineurs, à la faveur d’un relâchement des contrôles par les autorités marocaines.

Reste désormais à savoir si le départ de M. Ghali, dont Madrid a informé cette fois Rabat, permettra d’abaisser les tensions.

« Nous voulons des relations respectueuses, absolument constructives, car nos intérêts sont communs », a assuré la numéro deux du gouvernement espagnol Carmen Calvo. Un ton loin des accusations de « chantage » et d’« agression » proférées contre Rabat par des membres de l’Exécutif de Pedro Sanchez au plus fort de la crise.

Silence à Rabat

À Rabat, les autorités gardent le silence depuis l’annonce mardi de la volonté royale de « régler définitivement » la question des mineurs en situation irrégulière en Europe, perçue comme un geste d’apaisement.

Lundi, le gouvernement marocain avait assuré que la crise ne « s’achève pas avec (le) départ » de Brahim Ghali, car elle était liée à la position espagnole sur le Sahara occidental, « cause sacrée de l’ensemble du peuple marocain ».

Les Marocains « font planer depuis quelques jours la menace d’une rupture des relations diplomatiques avec l’Espagne, mais toute la question est de savoir s’ils iront jusque là et, sinon, quelles sont les options sur la table après la surenchère rhétorique des derniers jours », note une source diplomatique.

Isaias Barreñada, professeur de relations internationales à l’université madrilène de la Complutense, estime, lui, que Rabat « ne peut plus s’accrocher à rien » maintenant que Brahim Ghali est parti, alors que sa présence en Espagne a été « un prétexte facile » pour « mettre la pression sur Madrid et sa position sur le Sahara ».

Pour plusieurs analystes, l’origine de cette crise est en effet liée à la volonté de Rabat d’amener l’Espagne et l’Union européenne à modifier leur position sur le Sahara dans un sens plus favorable au Maroc après la décision des États-Unis, aux derniers jours du mandat de Donald Trump, de reconnaître la souveraineté marocaine sur l’ensemble de ce territoire disputé.