(Trosly-Breuil) Paul a décroché les photos de Jean Vanier, Cassandra fait signer des messages pour les victimes : dans le nord de la France, berceau de l’Arche, les révélations sur les abus sexuels du fondateur de l’association, figure catholique jusque-là adulée, font l’effet d’un choc.

Samedi, l’Arche, une fédération d’associations qui accueille dans 38 pays des personnes ayant une déficience intellectuelle, a dévoilé un rapport interne, mené par un organisme indépendant, affirmant que Jean Vanier, décédé l’an passé, avait eu, avec six femmes adultes (et non handicapées), dont certaines vulnérables, « des relations sexuelles, généralement dans le cadre d’un accompagnement spirituel, et dont certaines ont gardé de profondes blessures », pointe le rapport.  

Les investigations démontrent l’« emprise psychologique et spirituelle » qu’il a pu exercer et son « adhésion à certaines des théories et pratiques déviantes du père Thomas Philippe », son père spirituel, soupçonné d’agressions sexuelles sur des femmes, décédé en 1993.

Si l’enquête ne précise pas les lieux où se sont déroulés les faits, les foyers de Trosly-Breuil (nord de la France), berceau de l’Arche, où la première communauté fut fondée par Jean Vanier en 1964, sont particulièrement ébranlés.  

Dans ce petit village en lisière de forêt de Compiègne, il y a à peine un an et demi, ils fêtaient encore « les 90 ans de Jean, en dansant », raconte Christine McGrievy, responsable de la communauté de l’Arche à Trosly. L’homme est désormais enterré dans le cimetière, dans le caveau communautaire.

« Ca me fait mal », témoigne Paul (les prénoms ont été changés), 69 ans. Depuis cinq jours, ce résident qui avait été accueilli en 1971, aux débuts de l’aventure, par Jean Vanier lui-même « a du mal à dormir ». Ses photos, « je les ai enlevées. Je ne voulais plus les voir », lâche-t-il entre deux silences, mâchoire serrée.

Pour Cassandra, « tout s’est écroulé, samedi », le jour des révélations. « Il nous a trahis », témoigne cette femme de 28 ans qui a également connu le fondateur. Celle qui travaille dans l’Esat (structure permettant aux personnes handicapées d’exercer une profession) de l’Arche dit qu’il va lui falloir « des mois pour (s)’en remettre ».  

« Relecture » de l’histoire

Gaëlle, une salariée responsable d’un des foyers de Trosly, raconte aussi le « choc », la « colère », « l’incompréhension » face à des révélations aux antipodes de l’humanisme prôné par ce diplômé de philosophie et de théologie, qui avait reçu en 2015 le prix Templeton (décerné avant lui à Mère Teresa, au dalaï-lama).

Le père Christian Mahéas, prêtre accompagnateur de la communauté, le connaissait depuis 40 ans. « C’était un homme étonnant, plein de vitalité, une richesse intérieure, une écoute surtout. Comment un bonhomme aussi libre, charismatique, a-t-il pu être sous l’emprise du père Thomas ? », s’interroge-t-il. « C’est bousculant et scandaleux ».

« Certains l’avaient mis sur un piédestal, comme un saint, d’autres avaient pointé certaines failles. Chacun va avoir une relecture de son histoire avec Jean », affirme Matthieu Jaquemet, responsable régional de l’association pour la Normandie (ouest) et le nord de la France.  

Pour autant, beaucoup se concentraient sur l’accompagnement de la nouvelle auprès des personnes handicapées, mais aussi des assistants. « Plusieurs réunions et groupes de paroles ont eu lieu. Une écoute, avec des psychologues, est mise en place », explique Christine McGrievy. Sa communauté comprend quelque 200 personnes, en situation de handicap mental, salariés, bénévoles, volontaires…

Michèle, une ancienne salariée arrivée il y a 45 ans, veut, au-delà des difficultés, souligner la force et « l’étonnement » de « l’expérience vécue ensemble, qui est toujours là ».

« On ne peut oublier ce qui a été fait pour le développement de l’Arche dans le monde entier », ni « la qualité des relations entre les personnes vivant dans ces communautés », abonde le père Mahéas.

Cassandra, elle, se focalise sur le soutien aux six femmes victimes. Sur la carte qu’elle fait circuler, on peut lire : « Merci d’avoir parlé ». Ou encore « bravo pour votre courage ».