(Madrid) Si les derniers attentats djihadistes en Europe ont frappé la France et l’Autriche, l’Espagne, comme le reste du continent, reste dans le viseur de l’islamisme radical et la menace est « sévère », avertissent les autorités et les experts.

Le sujet est de nouveau dans l’actualité depuis l’ouverture, le mois dernier, du procès des attentats djihadistes d’août 2017 en Catalogne, qui avaient fait 16 morts à Barcelone et dans la ville voisine de Cambrils. Il est prévu que ce procès se termine le 16 décembre.

En outre, ces dernières semaines ont aussi vu plusieurs arrestations, la plus récente celle d’un imam marocain qui, selon la police, avait apporté en 2018 « un soutien logistique » à un combattant du groupe État islamique en Syrie afin qu’il vienne s’installer en Espagne.

Depuis 2015, l’Espagne est au niveau 4 de l’alerte antiterroriste, sur une échelle maximale de 5, ce qui traduit un risque élevé d’attentat.

Le djihadisme constitue « la principale menace terroriste pour notre pays et la communauté internationale dans son ensemble », a estimé le secrétaire d’État espagnol à la Sécurité, Rafael Pérez Ruiz, lors d’un récent colloque organisé par le groupe de réflexion madrilène « Real Instituto Elcano ».

Pour faire face à cette menace, poursuivait-il, il faut agir sur deux fronts : en Espagne, mais aussi au Sahel, tout particulièrement au Mali, devenu le « centre de la menace terroriste », où Madrid mène une politique de formation des militaires, d’appui diplomatique et de participation au développement économique.

Une propagande permanente

Même si l’impression dans le public est que le danger a baissé d’intensité, notamment en raison de la disparition du « Califat » du groupe État islamique en Irak et en Syrie, « la menace est à un niveau sévère », affirme Manuel R. Torres, professeur de Sciences politiques à l’Université Pablo de Olavide à Séville.

La situation,  poursuit cet expert, nécessite « une importante activité antiterroriste » en Espagne, où plus de 30 personnes ont été arrêtées en 2020 pour ce genre de délit, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur.

Parmi elles, deux individus qui transféraient de l’argent au groupe État islamique en Syrie, ainsi qu’une jeune Espagnole, qui s’était soudainement radicalisée et avait envoyé près de 5000 euros à ce même groupe. Elle projetait de se rendre en Syrie pour se marier avec un combattant qu’elle avait rencontrée sur les réseaux sociaux quand elle a été arrêtée.

« Les motifs (du passage à l’action violente) sont les mêmes qu’il y a cinq ou dix ans », à savoir une « consommation permanente de propagande » et les relations personnelles au sein de la mouvance djihadiste, souligne M. Torres.

Ces mêmes relations personnelles sont au cœur du procès des attentats en Catalogne, puisque la cellule, composée de jeunes Marocains vivant en Espagne, comprenait quatre paires de frères radicalisés par un imam.

Le procès n’a, pour l’instant, pas permis de répondre à toutes les questions, car les trois accusés – soupçonnés d’avoir aidé les auteurs des attentats, qui sont tous morts – sont peu diserts.

Entre leurs rares déclarations et la ligne choisie par le juge, qui a décidé de laisser de côté les questions sur le processus de radicalisation, « ce procès suscite beaucoup de frustrations », estime la journaliste Anna Teixidor, auteure d’une vaste enquête sur les attentats intitulée « Les silences du 17-A » (pour 17 août).

Comment déradicaliser ?

Depuis les attentats d’Al-Qaïda du 11 mars 2004 à Madrid, qui, avec 191 morts, restent la tuerie djihadiste la plus meurtrière  d’Europe, quelque 870 personnes ont été arrêtées en Espagne, selon des chiffres officiels.

« Le nombre élevé d’individus radicalisés, d’agitateurs, de recruteurs et de personnes remises en liberté » après avoir purgé leur peine « rend impossible leur suivi de manière efficace » et nécessite une meilleure évaluation des risques, résume Román Echaniz, de l’Observatoire international des Études sur le Terrorisme.

Depuis 2004, l’Espagne applique un programme de suivi des djihadistes emprisonnés, qui sont actuellement 119, y compris des prévenus en détention provisoire.  

Le programme s’assure que des condamnés de droit commun ne font pas du prosélytisme ou que des personnes vulnérables ne font pas l’objet d’activités de recrutements. En 2018, un réseau d’embrigadement comprenant 25 détenus avait ainsi été démantelé.

Depuis 2016, il existe également des programmes de déradicalisation volontaire dans les prisons.  

Mais leur efficacité est limitée, car « il est très difficile qu’ils reconnaissent le crime » pour lequel ils ont été punis, puisqu’ils l’ont perpétré en raison de leur foi, a confié à l’AFP une source de l’Administration pénitentiaire.