(Paris) Les survivants juifs de l’Hyper Cacher se feront rares la semaine prochaine à la barre des assises de Paris. Le procès des attentats de janvier 2015 a beau être présenté comme historique, la plupart ont préféré garder le silence par peur, par méfiance et pour certains par amertume.  

« Ce sont des gens brisés », qui « ont eu le sentiment d’avoir subi, à ce stade, l’injustice de l’oubli », explique Me Patrick Klugman, un des avocats des parties civiles, alors que s’ouvre lundi devant la cour d’assises spéciale de Paris la séquence de la meurtrière prise d’otages dans la supérette casher de la Porte de Vincennes.

« Des ex-otages à la barre, il n’y en aura pas beaucoup », affirme un de ses confrères Elie Korchia, qui représente Zarie Sibony, une des deux caissières revenues spécialement d’Israël.

Son témoignage, mardi, fera figure d’exception, comme ceux d’Alain Couanon, ancien diplomate, et Lassana Bathily, l’ancien magasinier, eux aussi survivants, mais qui ne sont pas de confession juive.

Sur la vingtaine de parties civiles qu’il représente, Me Klugman ne produira ainsi que trois témoins à la barre.

La discrétion des victimes de cet épisode des attentats qui ont semé la terreur en France en janvier 2015 contraste avec celle de la tuerie à Charlie Hebdo, deux jours plus tôt, qui ont témoigné en nombre au procès des 14 personnes accusées de soutien logistique aux auteurs des attaques, tués par les forces de sécurité.

Pourquoi ce mutisme ? D’abord parce que « c’est très dur, elles ne veulent pas revivre ces moments-là », explique Me Korchia.

« Plus rien à dire »

Les otages de l’Hyper Cacher sont restés un peu plus de quatre heures sous la menace du fusil d’assaut du djihadiste Amédy Coulibaly, qui a abattu un employé et trois des clients juifs du magasin.

Après cette scène de terreur, elles se sont senties victimes « d’avoir été oubliées comme victimes » dans une France qui voulait « se rassurer » en se disant « c’était des juifs », soulignait Me Klugman lors d’une conférence publique la veille de l’ouverture du procès.  

Elles ont aussi subi la « bureaucratie infernale mise en place pour les secourir. Certains n’ont pas supporté les échanges avec le Fonds de garantie » et la longue procédure encore ouverte pour certains, selon lui.

Pour les victimes juives, « les institutions sont aujourd’hui décrédibilisées », abonde une autre avocate des parties civiles, Laurence Cechman.

Hay Krief, le rabbin de la synagogue de Vincennes, à la lisière du magasin attaqué, explique que des survivants de sa communauté ont préféré « rester dans l’anonymat, sont tombés dans une forme d’agoraphobie », considérant « qu’elles n’ont plus rien à dire ».

S’ajoute aussi la peur de s’exposer et la conviction que la menace antisémite les met toujours en danger.  

« Moi je ne suis pas Charlie Hebdo,  pas un journaliste,  je n’aurai pas une sécurité rapprochée, je ne suis qu’un petit citoyen qui n’a rien pour se protéger. Ils (les accusés, NDLR) vont prendre quoi ? Cinq ans ? Et après ? En plus, il y en a tellement dehors, y aller, donner mon nom, pas question ! », témoigne sous couvert d’anonymat un ex-otage caché dans la chambre froide de la supérette.

« Établir les faits »

Lui ne s’est plus exprimé publiquement depuis 2016 et a choisi d’assister au procès, anonyme, dans la salle, pour écouter. « Je suis rentré dans cet endroit faire mes courses et cinq ans après, je n’en suis toujours pas sorti. Ça a foutu ma vie en l’air », dit-il.

Certains ex-otages ou ceux qui ont perdu un proche ce 9 janvier 2015 ont voulu s’éloigner géographiquement du drame en immigrant en Israël, loin de ce procès historique pour la France.

Malgré ces réticences, le procès est très suivi au sein des instances représentatives des communautés juives en France.

« Il faut qu’on soit capable de mettre un nom sur les complicités, petites et grandes » des terroristes, estime le grand rabbin de France Haim Korsia. Ce n’est « pas du tout » un procès de lampistes, juge-t-il, « il y a des coupables, des responsables. Les victimes ont besoin qu’on établisse les faits ».

« Pour l’ensemble des Français juifs, c’est un traumatisme, une plaie qui n’est pas refermée », souligne pour sa part le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Francis Kalifat.

« Au-delà du procès de complices de terroristes », ajoute-t-il, « ce sera aussi le procès de l’antisémitisme, qui tue encore en France ».