Bordeaux, Marseille, Lyon, Grenoble… Quatre des plus grosses villes de France ont élu un maire écologiste aux dernières élections municipales. Faut-il pour autant parler d’une « vague verte » ? Cyril Dion préfère relativiser. Pour le coauteur du documentaire à succès Demain, sorti en 2016, la France est loin d’avoir changé de logiciel. Il va même plus loin : la bataille ne fait que commencer. La Presse s’est entretenue avec cette star de la cause environnementale, réalisateur, écrivain, militant, équivalent français de notre Dominic Champagne.

Des résultats à nuancer

Le 28 juin dernier, sept villes de France de plus de 100 000 habitants ont été conquises par le parti EELV (Europe Écologie Les Verts) aux élections municipales. Parmi celles-ci, de très grosses prises comme Marseille, Lyon et Bordeaux… Il n’en fallait pas plus pour que les médias parlent d’une « vague verte » dans l’Hexagone. Cyril Dion, lui, préfère relativiser. Une percée, peut-être, mais pour le tsunami, on repassera.

PHOTO FANNY DION

Cyril Dion, militant écologiste

« Ce qu’on voit d’abord, c’est le taux d’abstention record (60 %). Ensuite, parmi les gens qui sont allés voter, il y a eu une vague verte dans les milieux urbains. On voit qu’une fracture s’est opérée. Les grandes villes ont des maires écolos parce que c’est dans les grandes villes que les gens souffrent le plus de la pollution de l’air, du nombre de voitures, du bruit, du manque d’arbres… En revanche, dans les zones plus rurales, où les gens souffrent moins de ça, où il y a moins d’acculturation à tous ces sujets-là, on a majoritairement voté à droite. C’est un constat plus nuancé que de dire : tous les Français sont devenus écolos. »

Propositions citoyennes

À la demande d’Emmanuel Macron, un groupe de 150 citoyens tirés au sort a été créé l’an dernier afin de formuler des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique.

Les conclusions de cette « convention citoyenne pour le climat » ont été dévoilées la semaine dernière par le président. Sur les 149 suggestions soumises, 146 ont été retenues par le chef de l’État et pourraient se transformer en projet de lois « multimesures » d’ici 2021. Parmi celles-ci : interdiction des pubs de VUS, des semences génétiquement modifiées, des trajets intérieurs en avion (lorsque prendre le train est possible), moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes, fin de l’artificialisation des sols, etc.

Macron a par ailleurs promis de tenir deux référendums sur ces propositions d’ici 2021.

L’un porterait sur l’ensemble des 146 mesures retenues. L’autre demandera aux Français s’ils sont d’accord pour inscrire les notions de biodiversité, de protection de l’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique dans l’article 1 de la Constitution.

« Pour l’instant, la dimension écologique est totalement absente de cet article premier », rappelle Cyril Dion, qui a joué un rôle crucial dans la mise sur pied de cette « convention citoyenne ». « C’est une véritable avancée. Sur le plan juridique, ça a beaucoup d’impact. Il y a des pays comme la Bolivie et l’Équateur qui ont déjà inscrit la notion d’environnement dans leurs constitutions. C’est un peu l’horizon de ces prochaines années, je pense. Donner des droits à la nature, c’est inévitable, si on veut vraiment se doter d’une structure juridique qui permet d’assurer la protection des écosystèmes. »

Des idées rejetées

Trois des 149 propositions n’ont pas été retenues par le président la République : l’abaissement de la limite de vitesse de 130 à 110 km/h sur les autoroutes, l’imposition d’une taxe de 4 % sur les dividendes des entreprises supérieurs à 10 millions d’euros et l’inscription de la notion d’écologie dans le préambule de la Constitution (qui précède l’article 1). Raison invoquée pour ce dernier refus : cette proposition « menacerait de placer la protection de l’environnement au-dessus des libertés publiques ». « C’est contestable, rétorque le militant. Ils n’ont toujours pas compris que les droits des humains au-dessus d’une planète complètement dégradée, ça n’existe pas… »

Macron « ne va pas très loin »

Il a retenu 146 propositions sur 149. Quand même pas mal. Doit-on parler d’une « conversion verte » pour Macron ? Pas si vite, répond Cyril Dion. Même si Macron essaie de s’engager sur la question écologique de façon plus forte, ses actions relèvent probablement plus du calcul politique que de la conviction profonde. « Nous avons le même âge, mais nous n’avons pas du tout les mêmes préoccupations, lance le militant, qui a rencontré le président à quelques reprises. L’écologie n’est absolument pas dans son logiciel. Il le dit lui-même. Il a un logiciel qui est plutôt du XXe siècle. C’est quelqu’un qui est assez moderne sur le plan des mœurs. Sur la dimension écologique, en revanche, il ne va pas très loin. »

PHOTO OLIVIER CHASSIGNOLE, AGENCE FRANCE-PRESSE

La Ville de Lyon a distribué gratuitement des haricots verts à ses habitants, vendredi dernier, pour souligner la victoire du parti EELV aux élections municipales.

Des progrès et des résistances

Cyril Dion admet que les mentalités commencent à changer en France. Mais le mouvement écologiste rencontre encore beaucoup de résistance.

« L’industrie et les lobbys, bien sûr, mais aussi l’opinion, dit-il. Malgré le consensus sur les questions d’environnement, on a vu des éditorialistes qui sont devenus complètement fous, qui se sont mis à parler de dictature écologique et même à comparer certains candidats écologistes à Hitler. Aux élections municipales, on a eu plusieurs villes où certains candidats, où certains chefs d’entreprise ont appelé à “faire barrage” aux écologistes. Ce sont des mots qu’on emploie d’habitude pour le Front national ! Faire barrage aux écologistes, ça veut dire quoi ? On veut faire un barrage aux idées de protection de la nature, de lutte contre le réchauffement climatique ? C’est normal, quand de nouvelles idées émergent, qu’elles soient vues comme une menace. Mais je pense que c’est le signe que ces idées sont en train d’arriver. »

Les impacts de la COVID-19

La crise de la COVID-19 a-t-elle accéléré notre prise de conscience ? Le militant en est convaincu. « La pandémie a fait germer cette idée de la fragilité de nos sociétés, de l’absurdité du système de la croissance. Pendant deux mois, on s’arrête. Les usines, les magasins s’arrêtent, et tout à coup, tout le reste doit s’effondrer. On découvre qu’il faut faire tourner la machine en permanence, sinon tout se casse la figure. Sauf que faire tourner la machine à plein régime en permanence, c’est ce qui est en train de détruire les écosystèmes. Je crois qu’il y a plein de gens qui se sont dit : “Il y a peut-être un problème…” »

« On peut faire quelque chose »

Quand son documentaire, Demain, est sorti en salle en 2016, on présentait Cyril Dion comme l’écolo positif et plein d’espoir. Quatre ans plus tard, alors qu’il achève son second documentaire pour le cinéma (Animal), est-il toujours aussi optimiste ? « Je ne pense pas avoir été jamais optimiste, conclut-il. Demain s’inspirait d’une étude de 2012 qui était quand même assez apocalyptique. Ce que j’étais, et suis toujours, c’est constructif. Je dis : le problème est très grave, mais on peut faire quelque chose. Ça ne sert à rien de déprimer les gens… »