(Londres) Boris Johnson a essuyé un nouvel échec cuisant jeudi à la Chambre des communes lorsque les députés britanniques ont refusé de suspendre leurs travaux le temps du congrès du Parti conservateur, énième épisode de la guerre ouverte entre le dirigeant populiste et le Parlement.

Les membres de la chambre basse ont rejeté – par 306 voix contre 289 – la motion gouvernementale sollicitant une pause de trois jours la semaine prochaine, ce qui aurait permis aux élus conservateurs d’assister au congrès annuel du parti, comme le veut l’usage. M. Johnson s’est dit «déçu».

Les députés avaient repris mercredi le chemin de Westminster dans une ambiance survoltée, au lendemain de la décision historique de la Cour suprême jugeant «illégale» la suspension du Parlement imposée par le premier ministre à l’approche du Brexit.

Au cours d’une séance acrimonieuse, le dirigeant conservateur a été accusé d’arrogance et de propos incendiaires par l’opposition.  

Sa rhétorique provocatrice a fait bondir la classe politique, y compris dans les rangs tories, et jusqu’à sa propre sœur Rachel qui a fustigé des mots «hautement condamnables».

Droit dans ses bottes

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Boris Johnson

Mais s’il a reconnu, dans des entrevues aux médias régionaux, que «les esprits doivent se calmer», le premier ministre n’a pas présenté d’excuses, martelant que «seule la réalisation du Brexit répondra à l’anxiété générale actuelle».  

Décrivant la «pire atmosphère» jamais vue au Parlement «en 22 ans», le président de la Chambre des communes John Bercow a tancé les députés et organisé un débat sur leurs excès de langage.

Le chef de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, a accusé le premier ministre de tenir «un discours impossible à distinguer de l’extrême droite» tandis que la dirigeante du Parti libéral-démocrate, Jo Swinson, comparait la rhétorique «inflammatoire» de Boris Johnson à celle de Donald Trump.

«Acte de reddition… Trahison… Sabotage…» Il faut dire que Boris Johnson a usé d’un vocabulaire volontairement guerrier en s’adressant mercredi soir aux députés de l’opposition.

Au milieu des vociférations des deux camps, le premier ministre a accusé une quinzaine de fois les membres de l’opposition d’avoir voté «une loi de capitulation» l’obligeant à demander un report du Brexit à l’Union européenne s’il ne parvenait pas à conclure un accord avec Bruxelles.

En populiste assumé, il a opposé à maintes reprises «le peuple» aux parlementaires. «Ce Parlement agit par pur égoïsme et lâcheté politique, les députés de l’opposition ne veulent pas s’effacer et laisser le peuple se prononcer», a-t-il lancé, les accusant de «saboter» les négociations avec Bruxelles sur le Brexit.

«Grossiers et dangereux»

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Une photo de Jo Cox a été placée dans un mémorial en son honneur sur la Place du Parlement en juin 2016.

Boris Johnson a particulièrement choqué en rendant un hommage déplacé à Jo Cox, une députée travailliste anti-Brexit assassinée à quelques jours du référendum de juin 2016 par un sympathisant néo-nazi dans le Yorkshire.  

Alors que la successeure de Jo Cox demandait au premier ministre de «modérer son langage» pour ne pas enflammer les passions, ce dernier a rétorqué : «La meilleure façon d’honorer la mémoire de Jo Cox est en réalité de rassembler ce pays en mettant en œuvre le Brexit!». Une argutie qui est mal passée.  

L’époux de la députée assassinée a appelé à la radio BBC à «ne pas créer de la haine».

Le premier ministre a certes condamné les menaces à l’encontre des politiciens, mais il a défendu «le droit des députés à s’exprimer librement sur les questions politiques importantes».  

Les exhortations de Boris Johnson, qui a reçu jeudi le soutien du groupe parlementaire conservateur, ont aussi fait réagir à Bruxelles.

Dans une ingérence exceptionnelle dans les affaires intérieures du Royaume-Uni, le commissaire européen britannique Julian King a fustigé des propos «grossiers et dangereux».

«Si vous pensez que le langage extrême ne nourrit pas la violence politique en Europe, y compris au Royaume-Uni, alors vous ne faites pas attention», a-t-il averti sur Twitter.

Les discussions «techniques» sur le Brexit se poursuivent dans la capitale européenne, principalement sur le contentieux de la frontière irlandaise.

Michel Barnier, négociateur pour l’UE, qui recevra vendredi son homologue britannique Stephen Barclay et le ministre irlandais des Affaires étrangères Simon Coveney, attendait toujours jeudi toute proposition «légale et opérationnelle» susceptible d’aboutir à un accord.