(Podgorica) Deux responsables de l’opposition prorusse au Monténégro ont été condamnés jeudi à cinq ans de prison pour un mystérieux «coup d’État» que les autorités locales affirment avoir déjoué en octobre 2016, mais qui garde de nombreuses zones d’ombre.

Outre Andrija Mandic, 54 ans, et Milan Knezevic, 39 ans, douze autres accusés ont été condamnés à des peines de prison, allant d’un an avec sursis à 15 ans ferme.

Parmi eux, deux ressortissants russes, présentés par le parquet comme appartenant à la communauté du renseignement, ont été condamnés en leur absence. Ils se trouvent en Russie.  

«L’objet de cette organisation était d’empêcher le Monténégro de rejoindre l’OTAN», a affirmé la juge Suzana Mugosa, qui a jugé les accusés «tous coupables» d’avoir voulu renverser le gouvernement pro-occidental au soir des législatives d’octobre 2016.

Le verdict est intervenu au terme d’un an et demi de ce que l’opposition considère comme «un procès politique», «une chasse aux sorcières» menée par le pouvoir du président Milo Djukanovic.

Celui-ci est depuis 1991 l’homme fort du Monténégro, petit pays balkanique de 650 000 habitants majoritairement slaves et orthodoxes, qu’il a conduit à l’indépendance de la Serbie en 2006, puis à l’adhésion à l’OTAN en 2017.

La Russie a démenti toute implication. Et le parquet monténégrin a récemment «relativisé» les soupçons initialement exprimés sur «un rôle officiel de Moscou dans le complot», relève l’analyste local Sergej Sekulovic.

Satisfaction britannique et américaine

Le département d’État américain a salué une «victoire claire de l’État de droit», qui a «étalé au grand jour la tentative effrontée de la Russie de saper la souveraineté d’une nation européenne indépendante».

«Coupables!», s’est exclamé sur Twitter le chef de la diplomatie britannique, Jeremy Hunt, qui insiste, à l’instar de Washington, sur la «condamnation de deux officiers des services de renseignement russes», considérée comme «un nouvel exemple des tentatives honteuses de la Russie de miner la démocratie européenne».  

Si un appel probable d’Andrija Mandic et Milan Knezevic devrait leur épargner dans l’immédiat la prison, leur parti, le Front démocratique, avait prévenu qu’une condamnation risquerait d’«irrémédiablement déstabiliser le Monténégro».

Devant la presse, Andrija Mandic a qualifié de «farce totale» ce jugement derrière lequel il voit la main de la famille Djukanovic. Milan Knezevic estime avoir été condamné sans «une seule preuve».

«Sans ce prétendu coup d’État, le régime serait certainement aujourd’hui dans l’opposition», le but était de susciter une «vague d’hystérie antirusse» pour «s’en prendre au Front démocratique», avait estimé Andrija Mandic à la fin du procès.   

Depuis ces événements, Milo Djukanovic a été réélu président en 2018, le Monténégro a rejoint l’OTAN en 2017 et poursuit ses négociations d’adhésion à l’Union européenne (UE), qu’il espère rejoindre en 2025. Quant au Front démocratique, principale force d’opposition en 2016, il semble durablement affaibli.

«Le Monténégro a une fois encore montré que sa souveraineté et son indépendance reposent sur les fondations solides de l’État de droit que personne n’est en mesure d’ébranler», s’est félicité le gouvernement.

Revirement d’un témoin clé

Mais aux yeux de nombreux observateurs, le procès n’a pas permis d’éclaircir les zones d’ombre.

Les armes que les comploteurs auraient projeté d’utiliser n’ont ainsi jamais été montrées.

Sans elles, «l’histoire d’un renversement violent du pouvoir devient peu convaincante», avait dit l’ex-ministre de la Justice devenu avocat, Dragan Soc. Pour ce juriste respecté, l’accusation n’a pas apporté de «preuves matérielles solides».

L’accusation a également été confrontée aux revirements du principal témoin à charge, Aleksandar Sindjelic, initialement arrêté mais vite libéré.  Après avoir accepté de coopérer avec le parquet, il a expliqué en mars à la télévision serbe Happy qu’il n’y avait pas eu «de projet de violence à Podgorica», «uniquement une manifestation» des anti-OTAN.

Le tribunal avait refusé de l’entendre de nouveau, expliquant que son revirement avait été exprimé hors de tout cadre judiciaire.

Avec la lutte contre la corruption et le crime organisé, l’indépendance de la justice est considérée par l’UE comme un point crucial dans les négociations d’adhésion.  

Dans son dernier rapport en 2018, la Commission européenne avait estimé que «le cadre légal visant à améliorer l’indépendance et le professionnalisme du système judiciaire restait à être entièrement mis en place».