Madrid «n'a pas besoin d'un fouet». Gibraltar, enclave britannique dans le sud de l'Espagne, ne cachait pas jeudi son exaspération d'être devenue en quelques jours la principale menace pesant sur le Brexit.  

Alors que le compte à rebours est lancé avant le sommet extraordinaire censé ratifier dimanche l'accord de divorce entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, la prospère petite colonie de 30 000 habitants se retrouve brusquement sous les projecteurs. Et ses habitants le reprochent amèrement à Madrid.

«C'est dingue qu'un pays d'un demi-million de km2 avec 46 millions d'habitants et des problèmes intérieurs profonds dépense autant d'énergie au sujet d'un rocher de six kilomètres carrés avec 30 000 personnes dessus», peste Hamish Thomson, anesthésiste de 44 ans.

Elton Moreno, gérant de 44 ans dans une société de jeux en ligne, secteur prépondérant de l'économie de l'enclave, n'est «pas surpris que Gibraltar soit utilisé dans ce bras de fer» mais se dit «fatigué de le voir tout le temps dans l'actualité».

Situé à un emplacement stratégique permettant le contrôle du détroit de Gibraltar, le Rocher a été cédé en 1713 par l'Espagne à la Grande-Bretagne dans le traité d'Utrecht. Revendiqué par Madrid, il entretient des relations souvent difficiles avec son grand voisin.

Soucieux d'avoir un droit de regard, Madrid s'était assuré auprès de ses partenaires européens avant le début des négociations sur le Brexit en juin 2017 qu'«aucun accord entre l'UE et le Royaume-Uni ne s'applique au territoire de Gibraltar» sans son feu vert.

Problème, cette précision ne figure pas dans l'accord obtenu la semaine dernière au forceps sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE, ce qui a entraîné la colère du gouvernement espagnol qui menace de tout faire dérailler si cela n'est pas stipulé de nouveau noir sur blanc.

«Si cela n'est pas résolu d'ici dimanche, l'Espagne malheureusement [...] devra voter non et exercer sa capacité de veto. [...] Nous défendons les intérêts de la nation espagnole et nous le ferons jusqu'au bout», a martelé encore mercredi soir le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez.

Et il a réaffirmé jeudi soir sur Twitter, à son arrivée pour une visite officielle à La Havane et après avoir parlé à Theresa May : «Nos positions restent éloignées. Mon gouvernement défendra toujours les intérêts de l'Espagne. S'il n'y a pas de changement, nous opposerons notre veto au Brexit».

«À la dernière minute»

«La quatrième économie européenne n'a pas besoin d'un fouet pour amener la plus petite économie d'Europe à s'asseoir avec elle autour de la table», avait déclaré dans la journée le chef de l'exécutif de Gibraltar, Fabian Picardo, devant le parlement de la colonie britannique.

«Notre porte d'entrée en Europe est l'Espagne [...] Nous avons plus de raisons de coopérer et de discuter avec l'Espagne que nous n'en avons de facto avec les autres nations», a ajouté Fabian Picardo.

«Après des mois de négociations [...], il est inacceptable de la part du gouvernement espagnol de menacer d'exercer son veto sur l'accord sur le Brexit au dernier moment», dénonce de son côté Moses Anahory, avocat de 48 ans.

«Mais si c'est inacceptable, ce n'est malheureusement pas surprenant de la part de l'Espagne de soulever le "problème Gibraltar" à la dernière minute», ajoute-t-il en craignant que cela ne contribue à miner la confiance entre le Rocher et son voisin.

Owen Smith, un autre avocat de 41 ans, serait lui «heureux de voir le Brexit dérailler» alors qu'il a voté comme l'immense majorité des Gibraltariens pour que le Royaume-Uni reste dans le giron européen.  

Mais il dit ne pas «voir la dispute actuelle autour de Gibraltar en mesure de faire capoter tout le processus», même si à trois jours du sommet, rien n'est encore réglé.