Londres, Paris et Berlin ont estimé dimanche qu'il y avait « un besoin urgent de clarification » sur les circonstances de la mort « inacceptable » du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat de son pays, en Turquie.

« Nous prenons bonne note de la déclaration des Saoudiens expliquant leurs conclusions préliminaires », ont déclaré les trois capitales occidentales dans un communiqué conjoint.

« Mais, il reste un besoin urgent de clarification sur ce qui s'est exactement passé le 2 octobre, au-delà des hypothèses jusqu'ici évoquées par l'enquête saoudienne, qui doivent être étayées par des faits pour être considérée comme crédibles ».

« Nous insistons donc sur le fait que davantage d'efforts sont nécessaires et attendus afin d'établir la vérité d'une manière complète, transparente et crédible », ont souligné les trois pays, qualifiant d'« inacceptable » de menacer, attaquer ou tuer des journalistes « en aucune circonstance ».

Après la disparition le 2 octobre de Jamal Khashoggi, l'Arabie saoudite a finalement admis samedi que le journaliste, critique du pouvoir saoudien et exilé aux États-Unis, avait été tué à l'intérieur du consulat du royaume à Istanbul, après « une bagarre » et « une rixe à coups de poing », sans toutefois révéler où se trouve le corps.

Mais, ces explications n'ont pas convaincu de nombreux pays, principalement les Occidentaux, d'autant que les autorités saoudiennes avaient auparavant affirmé que le journaliste était ressorti du consulat.

Allié des Saoudiens, le président Donald Trump avait dans un premier temps jugé crédibles les explications saoudiennes, avant d'évoquer des « mensonges ».

Des responsables turcs ont, eux, donné une autre version, affirmant que Jamal Khashoggi avait été torturé et assassiné par une équipe de 15 agents saoudiens venus spécialement de Riyad. Selon des journaux turcs, son corps aurait été démembré.

« Ni crédible ni cohérent »

Dans le contexte de cette affaire, Riyad a annoncé le limogeage du numéro deux du Renseignement saoudien, le général Ahmed al-Assiri, et de trois autres hauts responsables de ces services, ainsi que d'un conseiller « médias » à la cour royale, Saoud al-Qahtani. Dix-huit suspects saoudiens ont été interpellés.

Mais, des analystes occidentaux ont vu dans ces limogeages et arrestations une tentative de désigner des boucs émissaires et d'épargner le prince héritier, considéré comme l'homme fort du royaume.

Le Canada a qualifié « d'incohérentes » les explications de Riyad sur cette affaire, qui a provoqué une onde de choc mondiale et considérablement terni l'image de Riyad. L'Allemagne les a trouvées « insuffisantes », la France a déclaré que « de nombreuses questions restent sans réponses » et l'Union européenne a demandé une enquête « approfondie » et « transparente ».

Les principaux alliés de Riyad dans la région - Émirats arabes unis, Bahreïn, Egypte, Jordanie, Oman, Koweït et Autorité palestinienne -, ainsi que la Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique, ont salué les annonces du royaume saoudien.

« Un moment sismique »

Entre-temps, les enquêteurs turcs ont poursuivi leurs investigations, fouillant une vaste forêt proche d'Istanbul, et Ankara a dit s'apprêter à « tout » révéler sur le sort du journaliste. Disant s'appuyer sur des enregistrements sonores, la presse turque a même évoqué une décapitation de Khashoggi.

Vingt-cinq autres témoins ont été convoqués dimanche par les procureurs engagés dans l'enquête en Turquie, a indiqué la télévision turque NTV. Des membres du personnel du consulat saoudien à Istanbul, notamment des techniciens, des comptables et un chauffeur, avaient déjà témoigné vendredi devant le principal tribunal d'Istanbul.

Outre une crise de crédibilité, ce scandale international a poussé au boycottage par des responsables occidentaux et des dirigeants de firmes internationales d'une grande conférence économique, chère au prince héritier, prévue à Riyad à partir de mardi.

Il a aussi alimenté des spéculations selon lesquelles le prince héritier risquait d'être délogé du pouvoir par des membres de la famille royale irrités par ses « abus ».

Mais, parmi les décrets de samedi, son père, le roi Salmane, a annoncé la formation d'une commission ministérielle dirigée par le prince héritier pour réorganiser les services de renseignement, montrant ainsi son intention de le maintenir aux plus hautes fonctions à ce stade.

Selon Michael Stephens, expert au Royal United Services Institute, cette crise est certainement l'un de moments les plus « sismiques au Moyen-Orient depuis le Printemps arabe » en 2011. « Si seulement Jamal avait pu connaître l'incidence qu'il aurait eu sur une région qui lui importait tant ».

- Avec René SLAMA, à DUBAÏ