Un procureur turc a réclamé mercredi que les dirigeants de l'entreprise qui exploitait la mine de Soma passent le reste de leur vie en prison, au deuxième jour du procès sous haute tension de la catastrophe qui a coûté la vie à 301 ouvriers il y a un an.

Devant les centaines de proches des victimes massés dans le petit tribunal d'Akhisar (ouest), le magistrat a requis contre le PDG de la société Soma Kömür, Can Gürkan, et sept de ses cadres des peines de vingt-cinq ans de réclusion pour chacun des 301 morts, et de trois ans pour chacun des 162 blessés.

La justice turque reproche à la direction de Soma Kömür d'avoir délibérément négligé la sécurité de ses mineurs et de leur avoir imposé des conditions de travail indignes, au nom de la rentabilité et de ses profits.

Pendant le reste de la journée, un greffier a lu les dépositions des huit accusés recueillies pendant l'enquête, dans lesquelles ils récusent les charges qui pèsent contre eux.

«Je ne suis qu'un dirigeant et, comme je n'ai aucune expertise technique, je ne peux être tenu pour responsable de ce qui s'est passé», a affirmé le patron lors d'un interrogatoire. «Je n'ai pas la moindre idée des causes de l'accident», a ajouté M. Gürkan, évoquant un «sabotage». La lecture de sa déclaration a provoqué les huées du public.

Le PDG de Soma Kömür devrait être interrogé à partir de jeudi après-midi par le juge.

En détention provisoire à Izmir (ouest), M. Gürkan et ses sept cadres sont apparus mercredi pour la première fois sous bonne escorte dans la salle d'audience, où ils ont été violemment pris à partie par les familles des victimes.

«Qu'Allah brûle ces pécheurs en enfer et pour l'éternité», leur a lancé une veuve.

Pour des raisons de sécurité, ces accusés devaient être interrogés depuis leur prison par vidéoconférence. Confronté à la colère des proches, le juge a finalement décidé de les faire comparaître devant son tribunal.

Fatalité

Trente-sept autres personnes, techniciens de la mine ou agents subalternes du ministère de l'Énergie chargés de la contrôler sont poursuivis pour homicides involontaires.

Le 13 mai 2014, un violent incendie a éclaté dans un des puits de la mine de charbon de Soma et tué 301 mineurs, brûlés ou intoxiqués au monoxyde de carbone. Cet accident constitue la pire catastrophe industrielle de l'histoire du pays.

Dans les mois qui ont suivi, les experts judiciaires ont imputé à Soma Kömür une impressionnante série de négligences, du manque de détecteur de monoxyde de carbone au mauvais fonctionnement des masques à gaz des mineurs.

Les procureurs ont aussi mis en cause la «surexploitation» de la mine et les cadences infernales imposées aux salariés par l'entreprise, dont les dirigeants se vantaient d'avoir divisé par cinq le coût de production de la tonne de charbon.

Dans une de ses déclarations lues devant le tribunal mercredi, le directeur général de la mine, Ramazan Dogru, a exprimé ses remords, mais contesté les conclusions de la justice en attribuant l'accident à la fatalité.

«Je connais tous les mineurs qui sont morts, je suis terriblement désolé, j'aurais préféré mourir à leur place», a-t-il dit. «De tels accidents peuvent survenir dans des endroits que vous ne pouvez pas contrôler», a toutefois estimé M. Dogru.

À moins de deux mois des législatives du 7 juin, les avocats des parties civiles veulent mettre en cause à la barre le gouvernement islamo-conservateur, accusé d'avoir couvert les fautes des dirigeants de Soma Kömür, présentés comme proches du pouvoir.

Un an après la fronde antigouvernementale de 2013, l'accident de Soma avait réveillé la contestation contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, aujourd'hui chef de l'État.