Cela a été littéralement la goutte d'eau. Après des années d'austérité, la décision de facturer l'eau du robinet, jusque-là gratuite en Irlande, a jeté des dizaines de milliers de personnes dans la rue ces derniers mois, et mis le gouvernement sur la sellette.

«Cette nouvelle ponction a été annoncée alors que le gouvernement ne cesse de clamer que nous sommes en période de reprise, souligne la députée socialiste Ruth Coppinger. Si c'est la reprise, alors pourquoi continuer à mettre en place des mesures d'austérité et des impôts?»

Cette taxe sur l'eau, que Dublin s'était engagé à introduire dans le cadre du plan d'aide financière du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Union européenne (UE) adopté en 2010 pour sauver son économie de la faillite, doit entrer en vigueur le 1er janvier.

Mais son introduction a soulevé la colère inattendue des habitants de l'île qui avaient enduré quasiment sans broncher la cure d'austérité qui leur avait été imposée ces dernières années. Plusieurs manifestations ont eu lieu durant l'automne, dont la dernière, le 10 décembre, a réuni entre 30 000 et 100 000 personnes, selon les sources.

«Les gens en ont assez de l'austérité», explique à l'AFP Alan Lawes, 51 ans, qui a pris part au rassemblement du 10 décembre devant le Parlement et réclame l'annulation pure et simple de la nouvelle mesure.

En chute vertigineuse dans les sondages, le gouvernement de coalition alliant le Fine Gael (centre droit) du premier ministre Enda Kenny aux travaillistes du Labour, a fait marche arrière le mois dernier sur certains points, réduisant notamment le montant de la facture réclamée aux foyers irlandais (qui sera comprise entre 60 et 160 euros, soit entre 85 et 225 dollars) et renonçant à les faire payer au mètre cube consommé. Mais il refuse d'abandonner sa réforme qui doit mettre fin à une exception au sein de l'UE, qui remonte à 1997.

Appel à ne pas payer 

Alors que la distribution de l'eau courante était financée par les impôts et gérée par les autorités locales, sa responsabilité a désormais été transférée à la société semi-publique nouvellement créée Irish Water.

La découverte que cette société a rémunéré généreusement des entreprises de conseil et distribué des bonus à ses salariés, ainsi que la crainte de la voir privatisée ont contribué à attiser la fureur des Irlandais.

L'éditorialiste politique Gerard Howlin souligne que la vague de mécontentement soulevée a surpris les autorités après «six années de calme» malgré 30 milliards d'euros de mesures d'économie prises depuis le déclenchement de la crise financière et risque de provoquer la chute de la coalition au pouvoir lors des prochaines législatives programmées en 2016.

Selon lui, l'on pourrait alors bien assister à un nouveau bouleversement du paysage politique irlandais après celui qui avait vu le Fianna Fail (centre droit), qui avait dominé la vie politique de l'Irlande depuis son indépendance en 1921, laminé aux précédentes élections de 2011.

Pour Gary Murphy, analyste politique à l'université de Dublin, «c'est probablement la taxe de trop» dans un pays qui compte 10,7% de chômeurs et dont beaucoup d'habitants ne voient pas encore la couleur de la croissance économique retrouvée.

Ses opposants ne renoncent pas à la voir supprimée et appellent désormais à un boycottage des factures dont les premières devraient parvenir aux Irlandais en avril. «Le meilleur moyen que la taxe soit annulée est de ne pas payer massivement», estime ainsi Mme Coppinger.

Le parti d'opposition Sinn Féin, qui y est opposé, a appelé à un référendum sur la question et a demandé au président irlandais de ne pas signer le décret d'application de la loi.