Près de quatre millions de visionnements en sept jours! Pas mal pour un court métrage français sorti discrètement... en 2010! Depuis une semaine, le film Majorité opprimée est devenu viral sur les réseaux sociaux. Est-ce seulement grâce à la mise en ligne de la version sous-titrée anglaise? Ou à cause de son propos résolument féministe? Probablement un peu des deux, nous dit sa réalisatrice, Éléonore Pourriat.

Q: Votre court métrage, qui raconte une journée dans une société sexiste dominée par les femmes, est sorti en 2010. Même s'il était en ligne depuis 2012, le film était resté plutôt confidentiel jusqu'à la semaine dernière, quand une version sous-titrée en anglais a été mise en ligne. Pourquoi a-t-il, cette fois-ci, attiré autant l'attention?

R: C'est probablement grâce à une conjonction d'actualités: la sortie en France du film de Riad Sattouf Jacky au royaume des filles, qui utilise le même procédé d'inversion des sexes, le recul des mentalités sur des droits depuis longtemps acquis comme l'IVG [interruption volontaire de grossesse] ou les droits obtenus de fraîche date comme le mariage homosexuel... Je ne m'attendais pas à un tel succès, évidemment, et notamment dans les pays anglo-saxons où le film est acclamé. Il faut dire que les féministes anglo-saxonnes sont particulièrement actives. Je commence aussi à recevoir des propositions de remake en Égypte, en Israël, où les hommes et les femmes sont loin d'être égaux...

Q: Quelles sont les réactions des hommes à votre court métrage?

R: En général, les réactions sont bonnes. C'est émouvant, beaucoup d'hommes me remercient de leur avoir proposé une vision dont ils n'avaient pas forcément conscience, ou une réalité qu'ils avaient tendance à minimiser. Il y a aussi, heureusement, des hommes féministes et actifs pour l'égalité des droits. Mon film ne dit pas que tous les hommes sont des machos irrécupérables. J'ai reçu aussi beaucoup d'insultes, des menaces, un flot de haine comme si, en 10 minutes, on avait retiré quelque chose de très précieux à certains messieurs. Il y a encore du boulot...

Q: Justement, en 10 minutes, on voit des femmes afficher du mépris, de la condescendance, de l'agressivité typiquement misogyne envers des hommes. Vous a-t-on reproché d'exagérer la réalité en condensant tous ces comportements en une histoire?

R: On a tendance à oublier que mon film est une fiction et non un documentaire. Je propose une journée fictive où se concentre une série de discriminations allant d'une banale remarque jusqu'à la violence d'une agression sexuelle dans un monde fictif (et non idéal!). Je veux que le spectateur ressente ce que peut ressentir une femme dans de pareilles situations, mais le réalisme n'est pas le seul moyen de faire passer les émotions! Alors oui, certains m'ont accusé d'exagérer parce que ce n'est pas vraisemblable de vivre tout ça dans une même journée, mais je fais du cinéma, pas de la téléréalité...

Q: Au-delà de la mise en ligne de la version sous-titrée, comment expliquer la popularité du film un peu partout dans le monde?

R: Je crois que ce buzz est symptomatique d'une situation alarmante: en Europe, les mentalités reculent. On remet en cause le droit à l'IVG en Espagne. En France, certains s'accrochent à la formulation «état de détresse» pour qu'une femme puisse avorter. Et puis, on fantasme sur la théorie du genre comme s'il était question d'abolir les différences entre les sexes. Ce qu'il faut abolir, ce sont les inégalités, point.