La principale télévision d'opposition en Russie, Dojd, s'est dite mardi menacée de fermeture, étranglée par la décision des principaux opérateurs câblés de ne plus la diffuser, qui vise selon elle à lui faire payer son indépendance.

La chaîne se trouve sous le feu des critiques depuis qu'elle a demandé à ses spectateurs et internautes si les autorités soviétiques n'auraient pas dû livrer Leningrad, devenue aujourd'hui Saint-Pétersbourg, à l'Allemagne nazie «pour sauver des centaines de milliers de vies».

Après notamment Akado, Rostelecom et Beeline, l'opérateur TriColor TV a annoncé lundi soir qu'il retirait Dojd de son offre à partir du 10 février, en raison de désaccords sur sa «politique éditoriale».

«C'est un gros opérateur, le plus important qu'il nous restait. Au départ il n'a pas cédé aux pressions et nous portions de grands espoirs», a indiqué à l'AFP Mikhaïl Zygar, rédacteur en chef de la chaîne, l'un des rares médias à adopter un ton critique envers le président Vladimir Poutine.

«Son abandon constitue un tournant. C'est une ligne rouge qui montre que c'est une véritable guerre qui est menée contre nous», a-t-il ajouté.

«De fait, on ferme Dojd», a estimé la chaîne dans un communiqué.

Exception dans un paysage audiovisuel dominé par des chaînes publiques bienveillantes envers le pouvoir et des chaînes privées mises au pas, Dojd accorde un important temps d'antenne aux voix critiques.

Elle a amplement couvert le mouvement de contestation sans précédent contre Vladimir Poutine en 2012 ou plus récemment la libération des jeunes femmes du groupe contestataire Pussy Riot. Elle a vu son audience être multipliée par dix en deux ans.

Lors d'une conférence de presse à Moscou, ses dirigeants ont dénoncé des pressions qui ont commencé lorsque la chaîne a relayé il y a quelques mois une enquête de l'opposant Alexeï Navalny sur le patrimoine immobilier de responsables du parti au pouvoir. Ils se sont cependant gardés de mettre en cause directement les autorités.

«C'est notre indépendance qui gênait»

«Les opérateurs n'ont pas agi de leur propre volonté. Nous sommes sûrs qu'ils ont agi sous pression», a accusé le principal actionnaire de la chaîne, Alexandre Vinokourov.

«C'est notre indépendance qui gênait», a renchéri la directrice générale, Natalia Sindeïeva, promettant qu'elle se battrait «jusqu'au bout» et que la chaîne ne fermerait pas dans l'immédiat.

Mais Dojd, lâchée par TriColor TV, qui constituait son premier diffuseur avec des millions d'abonnés, se trouve en position très difficile, diffusée uniquement par les opérateurs locaux et sur internet.

Afin de maintenir une audience, elle a proposé aux opérateurs de la diffuser gratuitement jusqu'à la fin de l'année.

La question à l'origine du scandale a été publiée à l'occasion des 70 ans de la fin du siège de Leningrad qui a duré de septembre 1941 à janvier 1944, pendant lequel la ville a perdu les deux tiers de ses habitants en raison de la faim, du froid, de l'épuisement ou des bombardements.

Elle a été rapidement retirée du site de la chaîne et la direction de Dojd s'est excusée.

Les groupes parlementaires de la Douma (chambre basse du Parlement russe) ont condamné à l'unanimité ce sondage, estimant que la question constituait une offense à la mémoire des anciens combattants.

Plusieurs commentateurs libéraux ont dénoncé cette démarche, y voyant une attaque politique contre cette chaîne très critique.

Le délégué du Kremlin pour les droits de l'homme Vladimir Loukine a pour sa part dénoncé mardi une action concertée de la part des chaînes concurrentes «qui vise à liquider une chaîne d'opposition très énergique et intéressante».

Les déboires de Dojd interviennent alors que les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent des atteintes de plus en plus fréquentes à la liberté d'expression.

Dans un rapport publié cette semaine, l'ONG Agora a ainsi estimé que la liberté d'expression sur internet s'était «sensiblement dégradée» en 2013 en Russie avec des cas de blocages de sites ou de sanctions contre les opérateurs.