Les tenants de la laïcité pure et dure viennent de remporter une importante bataille en France. Mais le combat n'est pas terminé pour autant.

Dans un jugement qui fera date, la Cour d'appel vient de valider le congédiement de Fatima Atif, employée d'une garderie privée de la banlieue parisienne qui refusait d'enlever son foulard au travail, et qui a donc commis, selon le tribunal, une «faute grave.»

Il s'agit d'un rebondissement majeur dans ce qu'on appelle ici «l'affaire Baby Loup», du nom de la garderie située dans un quartier populaire de Chanteloup-les-Vignes, à une demi-heure de Paris.

Le feuilleton judiciaire dure depuis cinq ans. Deux premières décisions avaient donné raison à la direction de la garderie. En mars 2013, la Cour de cassation a renversé la vapeur, en statuant qu'il s'agissait d'un licenciement discriminatoire et illégal. C'est cette décision qui vient d'être à son tour annulée par la Cour d'appel. Dans une prochaine étape, le dossier a toutes les chances de rebondir une ultime fois devant la Cour de cassation.

La directrice de la garderie, Natalia Baleato, n'avait qu'un mot à la bouche, hier: soulagement. «Toute notre énergie pourra maintenant être portée à notre travail quotidien avec les enfants», s'est-elle réjouie, en conférence de presse, hier matin.

Mais son avocat Richard Malka, et les nombreux supporters qui l'accompagnaient, voient beaucoup plus loin.

«L'affaire Baby Loup soulève un débat de société, et la Cour d'appel a saisi l'importance de ce débat», s'est félicité Richard Malka.

Selon lui, le jugement fait avancer la cause de la laïcité devant le multiculturalisme, au-delà du secteur public. «La Cour considère que nous avons les outils juridiques nécessaires pour restreindre l'expression religieuse dans les entreprises privées», dans la mesure où celles-ci s'appuient sur un "motif légitime"», conclut-il à la lecture du jugement.

Ce qui a pesé dans la décision de la Cour d'appel, c'est la nature même des services offerts par Baby Loup, qui a pour mission de «respecter et protéger la conscience en éveil des enfants». Mais l'avocat Richard Malka imagine que des entreprises privées pourraient invoquer d'autres raisons, comme la sécurité ou le contact avec le public, pour se doter d'un règlement interdisant les signes religieux ostentatoires - ce qui, dans le contexte français, signifie essentiellement le foulard islamique.

D'ailleurs, Les restos du coeur, réseau caritatif fondé par Coluche, n'a pas attendu ce jugement pour rejeter, au début du mois de novembre, la candidature d'une bénévole aux cheveux couverts par un foulard.

Histoire emblématique

Depuis cinq ans, l'histoire de Baby Loup est devenue emblématique de deux visions de la laïcité. Une de ces visions bénéficie du soutien de la majorité de la population. La France interdit déjà les signes religieux dans les écoles publiques. Selon les sondages, plus de 8 Français sur 10 croient que cette restriction devrait être étendue aux garderies.

Le jugement de la Cour de cassation, qui a annulé le congédiement de Fatima Atif, au printemps dernier, avait d'ailleurs soulevé une véritable tempête. Des gens comme Harlem Désir, secrétaire général de SOS Racisme, le philosophe Alain Finkielkraut, ou encore la féministe Elisabeth Badinter - qui agit aussi comme marraine de Baby Loup - se sont insurgés contre cette décision.

«Nous sommes dans une heure de vérité où la laïcité doit être consolidée et réaffirmée», affirmaient-ils dans une pétition, signée par 60 personnalités.

Ces partisans d'un renforcement du modèle laïque français ont senti le vent tourner de leur côté, hier. Mais au Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui a soutenu Fatima Atif dans sa bataille contre la direction de Baby Loup, l'humeur est plutôt sombre. «Je crains que cette décision n'ait un impact sur les salariées musulmanes voilées, alors qu'il est déjà très difficile de se faire embaucher quand on porte le voile», s'inquiète Lila Sharef, responsable juridique de l'organisme.

Celle-ci craint aussi que cette décision n'ajoute «de nouveaux facteurs de légitimité à l'hostilité» dont souffrent, selon elle, les femmes voilées en France. Le CCIF a dénombré depuis six mois une vingtaine de cas d'agressions contre les femmes portant le hijab.

Cette bataille judiciaire n'est pas près d'être terminée. Dans une rarissime entrevue accordée récemment au Nouvel Observateur, la principale concernée, Fatima Atif, qui partage dorénavant sa vie entre la France et le Maroc, s'est dite «dépassée par toute cette polémique», mais prête à aller jusqu'aux tribunaux européens pour faire valoir ses droits.

En attendant, cinq années de tensions ont eu raison d'une garderie novatrice, qui accueille les enfants 24 heures sur 24, dans un quartier de HLM abritant des familles pauvres, souvent monoparentales. Baby Loup fermera ses portes en décembre, dans l'espoir de déménager dans une ville voisine au printemps.

L'affaire Baby Loup

2008: Au retour d'un congé de maternité, Fatima Atif est congédiée parce qu'elle refuse de retirer son foulard islamique au travail. Elle conteste son licenciement. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) blâme la direction de la garderie.

Novembre 2010: L'employée est déboutée devant le Conseil de prud'hommes.

Octobre 2011: La Cour d'appel de Versailles valide le congédiement.

19 mars 2013: La Cour de cassation rend un jugement qui infirme les deux décisions précédentes. Selon elle, le congédiement était discriminatoire et illégal.

27 novembre 2013: La Cour d'appel rejette la décision de la Cour de cassation et confirme la légalité du congédiement de Fatima Atif. Celle-ci envisage de retourner devant la Cour de cassation. Le cas échéant, celle-ci devrait alors rendre son jugement en plénière, faisant appel à l'opinion de tous ses juges.

Photo archives REUTERS

Depuis cinq ans, l'histoire de Baby Loup est devenue emblématique de deux visions de la laïcité en France, dont l'une obtient l'appui d'une vaste majorité de la population.