Les Allemands sont de moins en moins nombreux. Et de plus en plus vieux. Malgré toutes les politiques destinées à freiner ce déclin démographique. Dans ce premier d'une série de reportages réalisés à la veille des législatives de dimanche, rencontre avec un géant aux pieds d'argile.

La grande préoccupation de la mairesse de Brandebourg, Dietlind Tiemann, c'est d'éviter que sa ville se transforme en un «foyer de vieillards».

Les statistiques sont implacables. Entre 1989 et 2011, Brandebourg a perdu plus de 20 000 habitants. Pas loin du quart de sa population. En 2030, ce sera le tiers.

Année après année, cette ville industrielle de l'ex-Allemagne de l'Est enregistre plus de morts que de naissances. Résultat: l'âge moyen de ses habitants est passé de 37 à 47 ans. En 2030, il aura grimpé de quatre années de plus.Ce vieillissement se fait sentir surtout dans Brandebourg-Nord, un quartier d'immeubles en béton préfabriqué qui abrite la population la plus âgée de la ville.

Ici, le résidant moyen a 54ans. «Si on ne fait rien, dans 20 ans, tout le monde sera mort», prévoit Dietlind Tiemann.

Cette petite femme énergique se démène depuis une décennie pour donner un coup de jeune à sa ville. Elle multiplie les projets de garderies pour attirer les familles. La Ville a fait construire un immeuble "multigénérationnel", mélange de logements adaptés aux personnes âgées, d'appartements destinés aux familles et de commerces. Sa façade multicolore fait face à la gare.

N'empêche: la mutation démographique qui se poursuit depuis la chute du mur de Berlin pèse lourd sur les finances de Brandebourg. Plusieurs retraités ont droit au supplément de revenu garanti, assumé par la Ville. Facture annuelle: 7 millions de dollars.

Et puis, il faut s'adapter à la présence d'une population de plus en plus fragile. Par exemple, réaménager les tramways pour qu'ils puissent contenir plus de marchettes. «Mais ça peut aussi bien être des poussettes», rêve Dietlind Tiemann.

Celle-ci assure que le vent est en train de tourner. Mais ce déclin démographique n'est pas l'apanage de Brandebourg. Toute l'Allemagne vit une saignée que les statisticiens ont peine à suivre. Au recensement de 2011, ils s'attendaient à dénombrer 82 millions habitants. Il n'y en avait que 80,2 millions. En 2060, ce pourrait être 65 millions.

«Le problème, c'est que l'Allemagne perd des gens dans la tranche active de la population, et en gagne dans la tranche non active», souligne le démographe Reiner Klingholz.

Un phénomène qui s'accélère

Avec 21% de personnes de plus de 65 ans, l'Allemagne est déjà considérée comme le vieillard de l'Europe. Et avec un taux de fécondité largement en deçà du seuil de renouvellement des générations, le phénomène s'accélère.

Immense point d'interrogation à l'horizon: comment fera-t-on pour financer les retraites et les services sociaux dans ce pays où, comme le résume Reiner Klingholz, «il y aura moins de gens pour payer pour plus de gens» ?

Cette question hante la campagne électorale en cours.

«Dans 15 ans, l'Allemagne comptera 5 millions de retraités supplémentaires, alors qu'il y aura 6 millions de travailleurs de moins», a rappelé la chancelière Angela Merkel dans une assemblée électorale à Potsdam.

L'Allemagne fonce vers un mur, et le recul de l'âge de la retraite ne suffira pas pour l'anéantir. Le gouvernement Merkel mise aussi sur la contribution des femmes. Il veut les inciter à faire plus d'enfants - et à ne pas déserter trop longtemps le marché du travail par la suite.

Une loi entrée en vigueur le 1er août garantit une place en garderie à tous les enfants de 1 an et plus. Les pères peuvent désormais profiter d'un congé de paternité. En même temps, une allocation mensuelle de 200$ est offerte aux mères au foyer - une mesure qui fait hurler les féministes.

Peu à peu, le modèle de la mutter au foyer, dominant il y a peu, est en train de craquer. Les jeunes femmes ne veulent plus abandonner leur carrière ou se contenter d'un boulot à mi-temps, constate la sociologue Jutta Allmendinger, qui vient de publier une étude sur le sujet.

«Pour des raisons économiques, l'Allemagne ne peut plus se permettre que les femmes restent à la maison», note l'historienne Ute Fervert.

Mais réussira-t-elle à les convaincre de faire plus d'enfants? "Ça fait 40 ans que l'Allemagne a un taux de natalité très bas; avec le temps, c'est devenu une tendance forte, difficile à combattre», juge Reiner Klingholz.

Ce dernier n'est pas pessimiste pour autant. Il croit que son pays saura minimiser l'impact d'un choc démographique qui, tôt ou tard, touchera aussi ses voisins. «S'ils ne s'y préparent pas, nous finirons par payer pour eux.»