Un mois après l'élection-surprise d'un pape argentin à la tête d'une Église en pleine tourmente, Rome entre à nouveau en conclave jeudi, cette fois-ci pour élire un président de la République et sortir de l'impasse politique.

Vous avez aimé les vaticanistes, vous adorerez les «quirinalistes», ces journalistes politiques italiens, fins connaisseurs des arcanes de la complexe élection du président de la République italienne. Celui-ci est installé sur le Quirinal, la plus haute des sept collines de la Ville éternelle, dans un Palais qui fut jusqu'au début du XIXe siècle... la résidence des papes.

«Les fumées blanches (religieuses) et les fumées noires (politiques) se confondent», remarque l'Espresso, l'hebdomadaire de gauche qui compare «manoeuvres, pressions et rites» des deux élections dans un article intitulé «le pape d'Italie» et signé Marco Damilano et Sandro Magister, spécialistes respectivement du Quirinal et du Vatican.

Car les votes organisés de chaque côté du Tibre, l'un à la chapelle Sixtine, l'autre dans l'enceinte du Palais Montecitorio, à la Chambre des députés, présentent de nombreuses similitudes.

Vote à bulletin secret, «grands électeurs» (dans un cas 115 cardinaux, dans l'autre 1007 députés, sénateurs et représentants des régions) et... pas de candidat déclaré. Comme pour monter sur le trône de Saint-Pierre, les éventuels intéressés sont priés d'observer la plus grande discrétion, et leur nom n'émerge qu'à l'issue d'interminables tractations entre leurs électeurs.

«L'élection présidentielle est un scrutin à forte mobilité tactique, avec des candidats qui se brûlent tout de suite et d'autres qui apparaissent au dernier moment», explique le philosophe Paolo Florès d'Arcaïs, directeur de la revue MicroMega.

Depuis les élections législatives des 24 et 25 février qui n'ont débouché sur aucune majorité claire, bloquant pour l'instant la formation d'un nouveau gouvernement, des tractations plus ou moins publiques se multiplient entre les partis.

Pour la présidence, le but est d'identifier une figure proche de la gauche, arrivée en tête et qui concentre le gros des électeurs, mais qui recueille aussi l'assentiment de Silvio Berlusconi, arrivé deuxième, ou celui des élus de l'ex-humoriste Beppe Grillo.

Car, autre similitude avec le conclave des cardinaux, afin de lui assurer la plus grande légitimité possible, l'élection s'opère à la majorité des deux tiers. Au moins pour les trois premiers tours. À partir du quatrième, la majorité absolue (504 voix) suffit, contrairement au Vatican où cette règle subsiste jusqu'à la fin.

Seuls deux présidents ont été élus dès le premier tour (Francesco Cossiga en 1985 et Carlo Azeglio Ciampi en 1999) tandis qu'en 1971, il a fallu 23 scrutins pour que Giovanni Leone accède à la présidence. Or, seulement deux votes par jour sont prévus...

«Même l'Église qui n'est pourtant pas un modèle de célérité a réussi à s'organiser rapidement» en élisant le 13 mars le pape François en deux jours de conclave, a ironisé récemment le bouillant maire de Florence Matteo Renzi, en bisbille avec les dirigeants de son propre parti, le Parti démocrate (PD), qui a trouvé le moyen de l'exclure de la liste des «grands électeurs».

Au Quirinal, comme au Vatican, il s'agit de remplacer un octogénaire fatigué. Benoît XVI qui vient de fêter ses 86 ans avait démissionné à bout de forces, tandis que le président Giorgio Napolitano, 87 ans, dont le mandat expire mi-mai, se refuse à rempiler, estimant avoir «donné tout ce qu'il pouvait donner».

Confrontée à de grands défis après l'éclosion de scandales de corruption et de pédophilie, l'Église a choisi une figure originale: le premier pape jésuite et le premier venu «du bout du monde», au-delà de l'Atlantique. Embourbée elle aussi dans des intrigues, accusée de défendre ses propres intérêts au détriment des Italiens contraints à de lourds sacrifices en période de crise, la classe politique italienne fera-t-elle de même? L'Église a «donné une leçon aux électeurs qui se réuniront à Montecitorio: ne pas avoir peur d'un président "fin du monde". Une femme?», interpelle l'Espresso.

Pour l'instant, les noms qui circulent parmi les favoris ne sont guère nouveaux: l'ex-premier ministre Giuliano Amato, l'ex-président de la Chambre des députés Luciano Violante, l'actuelle ministre de l'Intérieur Anna Maria Cancellieri ou l'ex-commissaire européenne Emma Bonino...

Seul le Mouvement 5 étoiles, dont le chef Beppe Grillo qualifie le pape François d'«homme fantastique», a fait preuve d'originalité en proposant la journaliste Milena Gabanelli. Mais celle-ci ayant décliné l'offre, son choix s'est porté sur Stefano Rodotà, 79 ans, constitutionnaliste et grand pourfendeur du libéralisme sauvage.