Il a fallu un jour et demi aux cardinaux pour choisir le pape François. Au Parlement italien, les chefs des grands partis n'arrivent pas à former un gouvernement six semaines après des élections sans majorité. En cause: Beppe Grillo, humoriste et chef du populaire Mouvement 5 étoiles, qui cherche à bouleverser le système politique. Or, l'impasse impatiente des électeurs désabusés et menace d'aggraver la récession.

Oubliez la crise bancaire à Chypre. Le plus grave problème de l'Europe en ce moment? Le satiriste italien Beppe Grillo qui a créé la surprise aux législatives des 24 et 25 février en remportant 25% du vote. C'est du moins l'avis de Jim O'Neill, cadre et économiste étoile de la banque américaine Goldman Sachs.

Depuis 40 jours, le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui détient la balance du pouvoir, prive les Italiens d'un gouvernement en refusant de s'allier avec un des partis traditionnels.

«L'histoire la plus intéressante en Europe en ce moment est le «facteur Grillo», a expliqué Jim O'Neill, président de la gestion des actifs de Goldman Sachs, à Bloomberg TV le 28 mars dernier. Je ne comprends pas pourquoi les dirigeants européens ne s'attardent pas plus à ce phénomène parce que l'Italie est la troisième économie de la zone euro.»

Et elle est en piètre état. Plombée par une dette astronomique, elle n'a pas connu de croissance depuis 2011 et les économistes lui prédisent un autre recul de 1,5% cette année. Seule la Grèce est en pire position parmi les pays développés. Une famille italienne sur six vit dans la pauvreté.

Dans ce climat, l'absence d'un gouvernement se fait cruelle. Mais voilà, les trois principaux acteurs se boudent mutuellement. «Ils jouent à roche, papier, ciseau avec le pays», résume James Walston, professeur de l'Université américaine à Rome, dans son blogue politique.

Vainqueur des élections de février mais sans majorité, Pier Luigi Bersani, chef de l'alliance de gauche, dédaigne Berlusconi et son parti de centre droit, le Peuple de la liberté.

Et surtout, Beppe Grillo, sorte de Michael Moore italien, repousse les avances des grands partis, qu'il compare à des vampires. Le chef du mouvement protestataire avait prédit à La Presse de nouvelles élections avant la fin de l'année. «Ce n'est qu'une question de temps avant que nous remportions tout», avait-il dit.

En désespoir de cause, le président Giorgio Napolitano a formé le 30 mars dernier un comité de «10 sages» issus du milieu des affaires et de la politique. Ils s'apprêtent à proposer des mesures socioéconomiques et institutionnelles qui feraient consensus. Mais les espoirs sont minces et un des «sages», l'ancien juge Valerio Onida, a avoué lors d'une conversation enregistrée à son insu qu'ils étaient «inutiles».

Fissures

Pendant ce temps, l'attente devient intolérable pour les parlementaires. Le démocrate Bersani fait face à des appels de plus en plus insistants de ses troupes pour négocier avec Silvio Berlusconi. Et des députés de Grillo ont désobéi à ses ordres en élisant comme président du Sénat, chambre haute du Parlement, le candidat de Bersani.

Le départ du président de la République, Giorgio Napolitano, dont le mandat prend fin le 15 mai, pourrait ouvrir une brèche dans l'impasse. «Un nouveau président aurait le pouvoir de forcer un compromis ou de provoquer de nouvelles élections», explique le professeur James Walston, en entrevue.

Mais les Italiens rechignent à retourner aux urnes si vite. «C'est un désastre, dit Federica», une mère de famille au chômage de 39 ans qui a voté Grillo. «Les politiciens doivent se parler! Il nous faut des solutions pour sortir de la récession. Honnêtement, je ne sais pas pour qui je voterais à un autre scrutin.»