L'opposant russe Alexeï Navalny, l'un des opposants les plus résolus du Kremlin, s'est clairement présenté comme un rival de Vladimir Poutine en disant vouloir «devenir président», à moins de deux semaines d'un procès où il risque 10 ans de détention.

«Je veux devenir président», a déclaré l'avocat et blogueur lors d'une interview mercredi soir tard à la chaîne câblée Dojd, proche de l'opposition.

«Je veux changer la vie dans le pays, je veux changer le système de gouvernance du pays, je veux faire en sorte que les 140 millions de personnes qui vivent dans ce pays et qui ont du pétrole et du gaz qui sort de terre, ne vivent pas dans la misère et l'indigence la plus noire, mais vivent dans un pays normal, comme en Europe», a-t-il fait valoir.

L'opposant, l'un des plus féroces critiques du président russe, s'exprimait alors qu'il doit être jugé à partir du 17 avril à Kirov, une ville à 900 km à l'est de Moscou, dans un procès pour détournement de fonds, qu'il dénonce comme monté de toutes pièces.

Navalny est poursuivi pour avoir, à l'époque où il était conseiller du gouverneur libéral de la région, encouragé une entreprise de bois publique, Kirovles, à conclure un accord avec une société privée, qui s'est soldé par une perte de plus de 16 millions de roubles (530 000 $) pour la région de Kirov en 2009-2010.

Interrogé pour savoir s'il pensait qu'il irait en prison, l'opposant a répondu que tout dépendait de M. Poutine.

«Je n'ai aucun moyen d'entrer dans le cerveau de Poutine. Il prend ses décisions selon un système que lui seul connaît : mettre en prison ceux-ci, ne pas mettre en prison ceux-là», a-t-il dit.

Mais «je n'ai aucun doute sur le fait que le verdict sera "coupable"», a-t-il ajouté.

«Parce que même avec une peine avec sursis ils règlent plusieurs problèmes. En premier lieu, ils me priveront de la possibilité de me présenter aux élections», a-t-il estimé.

Il a par ailleurs promis que s'il devenait président, il ferait condamner M. Poutine et ses proches, les milliardaires Guennadi Timtchenko et Arkadi Rotenberg.

«Un jour, nous les vaincrons, et nous les mettrons en prison», a-t-il assuré.

Orateur efficace, Alexeï Navalny, 36 ans, s'est d'abord fait connaître par ses activités anticorruption.

Mais il a surtout émergé sur la scène publique à partir de fin 2011, en devenant l'une des figures de proue du mouvement de contestation sans précédent né après les élections législatives remportées par le parti au pouvoir, Russie Unie, dans un scrutin entaché de fraudes selon l'opposition et de nombreux observateurs.

Inédite depuis l'arrivée à la tête de la Russie de Vladimir Poutine, cette vague de protestation a toutefois nettement perdu de sa vigueur aujourd'hui, et l'opposition lutte pour mobiliser encore les gens.

Selon un sondage de l'institut indépendant Levada publié cette semaine, seuls 37 % des Russes savent qui est Navalny et seulement 14 % d'entre eux disent qu'ils voteraient pour lui aujourd'hui.

Lors de l'interview, l'intéressé a incriminé la campagne de dénigrement et de censure des médias, et notamment de la télévision publique, contre lui.

«Si plus de gens étaient au courant de mon travail, leur vision de moi changerait, et surtout leur rapport au pouvoir changerait», a-t-il argué.

Pour Alexeï Makarkine, directeur adjoint du Centre de technologies politiques, Navalny tente «d'attirer l'attention sur son cas dans la mesure où l'intérêt de la société pour l'opposition a nettement baissé».

«Il fait monter les enchères», déclare l'expert. «Avec ses déclarations, Navalny montre que c'est un grand procès politique, qu'il s'agit de poursuites politiques contre un opposant sérieux au pouvoir».

Navalny a reconnu qu'il avait, avec toutes les personnes injustement emprisonnées selon lui, comme l'ex-magnat du pétrole et critique de Poutine Mikhaïl Khodorkovski, «la même stratégie» face à un système judiciaire contrôlé par le pouvoir.

«Tous les innocents qui sont en prison n'ont besoin que d'une chose : que d'énormes foules descendent dans la rue», a-t-il estimé.