Pauline Marois profitera de voyage économique à Davos et Londres pour faire un détour en Écosse et saluer un frère d'armes, le premier ministre Alex Salmond, qui déclenchera l'année prochaine un référendum pour se séparer du Royaume-Uni. Les deux premiers ministres veulent conclure une entente de coopération... et échanger quelques conseils sur l'art du référendum.

Alex Salmond est un parieur. Le premier ministre écossais connaît assez les courses de chevaux pour avoir déjà prodigué ses conseils dans le Racing Post. D'ici la fin 2014, il tiendra le pari de sa vie: convaincre les Écossais de se séparer du Royaume-Uni. Un choix qui n'attire pour l'instant que le tiers d'entre eux.

«Je m'inquiète un peu pour Alex. Il a pris beaucoup de poids récemment», raconte un brin moqueur David McCrone, spécialiste du nationalisme écossais à l'Institut de gouvernance de l'université d'Edimbourg.

Le premier ministre est charismatique et sanguin, raconte le sociologue. On l'a déjà expulsé pendant une semaine de Westminster pour avoir interrompu le discours sur le budget, qui imposait une nouvelle taxe à l'Écosse.

Pour réunir ses conditions gagnantes, M. Salmond essaiera d'apprendre des échecs du Parti québécois (PQ). Les péquistes entretiennent déjà des liens depuis quelques années avec son Scottish National Party (SNP). En octobre dernier, le ministre de la Gouvernance souverainiste, Alexandre Cloutier, participait à une mission en Écosse. C'est d'ailleurs lui, et non le ministre des Relations internationales et du Commerce extérieur, qui accompagne Mme Marois.

Renoncer à la question double

En octobre, M. Salmond a lancé les dés. Pour que Westiminster reconnaisse son référendum, il a dû conclure une entente. L'Écosse obtient le droit d'adopter une loi référendaire où elle choisit entre autres la question, les règles de financement et l'âge de vote. Les 16-17 ans pourraient être éligibles. Mais en échange, elle s'engage à ne poser qu'une question, qui devra être «facile à comprendre» et donner une «expression décisive». Le processus sera supervisé par la Commission électorale, l'équivalent d'Élections Canada.

L'Écosse voulait poser au moins deux questions. L'une d'elles portait sur le devo-max - un genre de souveraineté-association. «On aurait proposé aux Écossais d'obtenir les pleins pouvoirs, à l'exception de la défense et des affaires internationales, et de rester lié à l'union. C'est l'option la plus populaire chez nous. Deux Écossais sur trois sont en faveur», explique le professeur McCrone.

Si M. Salmond y renonce, c'est par manque de pouvoirs. Quand Londres a créé le nouveau parlement écossais - il en existait un avant le 18e siècle -, elle l'a fait par loi, en déléguant des pouvoirs limités. Celui de déclencher des référendums n'en fait pas partie.

«Le contexte est complètement différent au Québec», insiste M. Cloutier. En 2000, Ottawa a adopté la loi sur la clarté. Elle annonce qu'elle ne reconnaîtra pas une victoire du Oui si la question ou la majorité n'est pas «claire» selon elle. Le gouvernement péquiste avait rapidement riposté avec une loi pour affirmer les «prérogatives» du Québec, rappelle le ministre.

Le Royaume-Uni aussi a étudié le cas du Québec. Londres veut mesurer chaque intervention pour répondre au SNP sans sortir le fouet, par crainte de trop réveiller l'ennemi. On ne risque pas de voir beaucoup d'accents british durant la campagne à venir.

Les unionistes craignent toutefois que la campagne ne finisse jamais. Ils appréhendent le neverendum, qui se poursuivrait selon certains chez nous. «Si le Oui perd, cela ne réglera pas le problème, confirme M. McCrone. Seulement un tiers des Écossais se satisfait du statu quo.»

La dévolution en 1999 a accordé plusieurs pouvoirs à l'Écosse, dont l'éducation et la santé. Mais pas la taxation ou l'aide sociale. On pensait satisfaire et étouffer le nationalisme. Mais l'appétit est venu en mangeant, constate-t-il. «Ce n'est pas ce qu'on prévoyait il y a 15 ans. C'est difficile, de faire des prédictions.»

Les Pandas en Écosse

Comme le PQ, le SNP a gagné ses élections en 2011 grâce à sa promesse de bon gouvernement, qui a attiré certains unionistes. Il a néanmoins été plus clair sur son échéancier: un référendum avant la fin du mandat.

Les deux partis indépendantistes sont aussi à gauche de leur gouvernement central. Il y a plus de pandas géants que de députés tories en Écosse, a d'ailleurs déjà blagué un membre du SNP.

Des tensions similaires s'y observent entre les paliers de gouvernement. À Londres, certains accusent l'Écosse d'être un junkie des transferts de l'union. I'll cost you, titrait le Economist l'année dernière pour mettre en garde les indépendantistes écossais. L'Écosse dispose d'environ 80% du pétrole de l'union. Mais cette ressource compte pour près du cinquième de son PIB, ce qui la rend fragile aux fluctuations du cours de la ressource, notait l'influent magazine. On y rappelait aussi que le Royaume-Uni a dû payer pour le sauvetage des banques écossaises géantes. Et que selon un sondage, si l'indépendance devait diminuer leur revenu annuel de 800$, seulement 21% des Écossais voteraient Oui.

Les traîtres et la rhétorique

On célébrait hier l'anniversaire du poète national écossais Robert Burns. «We're bought and sold for English gold. Such a parcel of rogues in a nation!», a-t-il écrit dans son célèbre poème sur l'union de 1707.

Il n'y a jamais eu de conquête en Écosse. Elle a librement choisi de se joindre à l'Angleterre en 1707 pour fonder le Royaume-Uni. Les indépendantistes y voient-ils de la traîtrise? «Le poème, c'est un peu de la rhétorique», répond M. McCrone.

Aux yeux des indépendantistes, le Royaume-Uni serait un «mariage de raison» qui ne fonctionne plus. «Ce n'est pas parce qu'on parle la même langue qu'on ne peut pas être différent, poursuit-il. Les Américains ne se sentent pas Britanniques. Depuis le premier millénaire, l'Écosse était indépendante. Ils veulent effacer 300 ans d'histoire sur 1000 ans. Ils ne voient pas de raison à rester ensemble, alors ils veulent quitter la maison en disant: adieu, ce fut bon de se connaître...»

Mais comme dans les divorces, il y a quelques détails techniques à régler avant de franchir la porte. Une victoire du Oui mènerait à une négociation. M. Salmond promet de rester membre du Commonwealth, et aussi de garder la reine comme chef d'État et la livre comme devise. Il voudrait par contre se débarrasser des armes nucléaires du Royaume-Uni sur sa base navale Faslane et adhérer à l'Union européenne (UE).

Pendant ce temps, Londres vient d'annoncer qu'elle tiendra un référendum en 2017 pour quitter l'UE. «Assez ironique, non?», souligne M. McCrone.

Il reste beaucoup de pelures de bananes sur la route pour les deux camps.

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ÉCOSSE

Population : 5 295 000

Superficie totale : 78 387 km2

PIB : 139,774 milliards

Depuis 1999, gouvernement par dévolution dans une union, qui est une monarchie constitutionnelle.

Premier ministre : Alex Salmond (Parti national écossais)

Majoritaire. Élu en promettant un référendum. A récolté 69 sièges sur 129 et 44 % des votes (2011).

Prochain référendum : prévu vers l'automne 2014

Sondages : l'appui au Oui se situe dans les 30 % *

*Selon la firme Ipsos-Mori, les appuis au Oui ont diminué dans les derniers mois. Le niveau est passé de 39 % en janvier 2012 à 30 % en octobre dernier. Le niveau d'indécis reste stable, à 11 %. L'appui au Oui est plus élevé chez les hommes, les 35-54 ans et dans les milieux défavorisés.

QUÉBEC

Population : 8 080 550

Superficie totale : 1 667 441 km2

PIB au prix courant : 322,690 milliards (2011)

Depuis 1867, province dans une fédération, qui est une monarchie constitutionnelle.

Premier ministre : Pauline Marois (Parti québécois)

Minoritaire. Élu sans promettre de référendum. A récolté 54 sièges sur 125 et 31,95 % des votes (2012).

Prochain référendum : ?

Référendums passés :

1995 (49,42 % Oui; 50,58 % Non);

1980 (40,44 % Oui; 59,56 % Non)

Sondages : l'appui au Oui se situe dans les 30 % **

** Le niveau fluctue légèrement selon les sondages. Le Oui récolte 28 % d'appuis selon un sondage probabiliste CROP réalisé à la fin du mois d'août 2012, auprès de 1002 répondants. Marge d'erreur de 3,1 points de pourcentage, 19 fois sur 20. Un sondage réalisé plus tôt l'été dernier par la même firme avait évalué l'appui à la souveraineté à 36 %.