Un des leaders les plus populaires de l'opposition russe a été assigné à résidence, hier. Pour la quatrième fois, le comité d'enquête a inculpé Alexeï Navalny du même crime économique, mais en augmentant la gravité des accusations.

Les trois précédentes tentatives avaient dû être abandonnées, faute de preuves. Mais cette fois, le chef du comité d'enquête, Alexander Bastrykine, qui a été la cible d'informations compromettantes révélées par M. Navalny cette semaine, semble déterminé à mener l'affaire jusqu'au bout et à coffrer le blogueur pour 10 ans.

«Il y a une personne du nom de Navalny. Vous aviez des accusations criminelles contre cette personne. Et vous les avez laissé tomber en douce!» C'était au début du mois. Lors d'une réunion nationale télévisée du comité d'enquête, Alexander Bastrykine s'est emporté contre ses subordonnés de la région de Kirov, responsables du dossier contre l'opposant.

Les enquêteurs ont depuis corrigé le tir. Ils ont non seulement inculpé Navalny, mais ils ont aggravé les accusations portées contre lui. Il n'est plus simplement soupçonné d'avoir incité, en 2009, lorsqu'il était conseiller du gouverneur de la région de Kirov, une petite entreprise forestière d'État à signer un contrat désavantageux sans en tirer profit lui-même. On l'accuse désormais d'avoir volé 10 000 mètres cubes de bois à cette entreprise, Kirovles, avec l'aide de deux complices. Le Code criminel russe prévoit jusqu'à 10 ans de détention pour cette offense.

Même si toute l'affaire ne repose pour l'instant que sur un seul témoignage, Alexander Bastrykine a bien fait comprendre qu'il n'était pas question de laisser l'opposant s'en tirer sans procès.

Au cours des dernières années, Navalny, 36 ans, s'est rendu célèbre par sa lutte acharnée contre la corruption et les malversations dans les entreprises publiques et dans l'entourage de Vladimir Poutine.

»L'espion tchèque»

La semaine dernière, M. Navalny a révélé qu'Alexander Bastrykine, ancien camarade d'université de Poutine, avait obtenu en 2007 un permis de résidence en République tchèque, et qu'il y possède une entreprise et un appartement. S'il n'est devenu chef du comité d'enquête qu'en 2011, Bastrykine était déjà haut fonctionnaire à l'époque et avait accès à des secrets d'État, souligne Navalny.

Cette découverte a poussé le blogueur à accuser Bastrykine d'être un «agent de l'étranger» pour un pays membre de l'OTAN. Il prenait ainsi au mot Vladimir Poutine, qui a fait adopter ce mois-ci une loi obligeant toutes les ONG recevant une partie ou la totalité de leur financement de l'extérieur du pays à se déclarer «agents de l'étranger».

M. Bastrykine a nié les accusations et a précisé ne détenir qu'un visa tchèque à long terme. Il a assuré que son entreprise, enregistrée à Prague, n'avait aucune activité commerciale et qu'elle n'avait été fondée que pour lui permettre d'acheter un appartement dans la ville. «Si on découvre que j'ai fait ne serait-ce qu'un euro de profit [avec cette entreprise], je démissionnerai», a-t-il assuré dans un entretien au journal pro-Kremlin Izvestia.

Or, les autorités tchèques ont confirmé que M. Bastrykine et sa femme avaient bel et bien obtenu un permis de résidence, et que certains documents qu'ils avaient fournis étaient faux. Navalny a promis de poursuivre ses révélations contre celui qu'il surnomme désormais «l'espion tchèque». Le Kremlin a indiqué qu'il vérifierait les allégations, mais qu'il n'était pas question de suspendre Bastrykine pour le moment.

Bête noire de Poutine

Avocat de profession, Alexeï Navalny était au coeur des manifestations anti-Poutine des derniers mois, déclenchées après les législatives de décembre 2011 - «frauduleuses», selon l'opposition. Il est devenu un incontournable de la vie politique russe. Ainsi, les chaînes de télévision étatiques, qui taisaient jusque-là son existence, ont dû commencer à le montrer.

Résultat: même si la couverture télévisuelle est presque exclusivement négative, plus du tiers des Russes le connaissent désormais, contre à peine 6% il y a un an, selon un sondage du Centre Levada.

Navalny, qui a récemment délaissé la chemise polo pour le veston et la cravate lors de ses apparitions publiques, n'a jamais caché ses ambitions présidentielles.