De modestes célébrations ont marqué samedi le 50e anniversaire de la révolte ouvrière de Novotcherkassk en 1962, quand les autorités soviétiques avaient fait tirer sur des grévistes dans cette ville du sud-ouest de la Russie, faisant une vingtaine de morts.

Le parti d'opposition Iabloko a déposé des fleurs sur la place Loubianka à Moscou, où se trouve le siège des services de sécurité, FSB (ex-KGB) et des représentants des syndicats indépendants devaient commémorer l'événement à Novotcherkassk et dans la ville voisine de Rostov-sur-le-Don, qui avait été elle aussi touchée par les troubles.

«Rappelons-nous de ceux qui ont été fusillés et de ceux qui ont fini leur vie dans les camps juste parce qu'ils avaient osé réclamé justice», a déclaré sur la place Loubianka Galina Mikhaleva, vice-présidente de l'antenne moscovite de Iabloko, selon un communiqué.

La chaîne de télévision russe NTV, contrôlée par le géant public Gazprom, a également diffusé samedi soir un reportage sur cet évènement, où alternaient images d'archives et scènes de reconstitution.

Le 1er juin 1962, une grève avait éclaté dans une usine de Novotcherkassk: les ouvriers protestaient contre une mesure imposant de produire 30 % de plus que d'habitude, sous peine de voir leur salaire diminuer, alors que dans le même temps le prix de plusieurs produits alimentaires avait fortement augmenté.

Après une journée d'occupation de l'usine, quelque 5 000 ouvriers en avaient été chassés par des tanks et des blindés de l'armée. Le lendemain, rejoints par une partie de la population, y compris des femmes et des enfants, ils s'étaient dirigés vers le siège local du Parti communiste et avaient occupé la place centrale de Novotcherkassk.

Selon des documents rendus publics après la chute de l'URSS, Nikita Khrouchtchev - numéro un soviétique de l'époque - avait donné des instructions précises: «Pas de pitié pour l'ennemi».

Le 2 juin, des militaires tirent sur la foule, tuant 26 personnes selon le bilan généralement admis aujourd'hui, dont plusieurs enfants selon l'historien Vladimir Kozlov. Les jours suivants, plus de cent personnes sont arrêtées: 7 sont condamnées à mort et fusillées, les autres reçoivent des peines de 10 à 15 ans de camp.

Dans son reportage NTV a interrogé plusieurs témoins de cette fusillade. L'un d'eux raconte qu'il a vu une femme recevoir une balle sous ses yeux.

«Elle se tenait le ventre, penchée, en silence, sans dire un mot, et soudain autour de sa main du sang a coulé», dit ce témoin Viktor Naouchenko.

Les informations concernant le soulèvement de Novotcherkask ont été soigneusement cachées en URSS pendant toute la période communiste: la presse soviétique n'a évoqué cette tragédie pour la première fois qu'en 1989.

En Occident, la révolte de Novotcherkassk avait été révélée en octobre 1962 par le gouvernement américain qui avait fait état des motifs du soulèvement et évoqué des morts dans la répression, sans plus de précision.

En 1971, l'écrivain dissident Alexandre Soljenitsyne s'était rendu à Novotcherkassk pour recueillir le témoignage de ceux qui avaient participé aux événements. C'est grâce aux pages qu'il a consacrées à cette révolte dans son livre l'Archipel du Goulag, paru en 1973 en France, que le soulèvement sera connu en détail.