D'abord protégé par l'immunité liée à ses fonctions, puis redevenu un citoyen ordinaire à la fin de son mandat, Jacques Chirac échappe de nouveau à la justice après l'annonce mardi du report de son procès, le premier dans l'Histoire d'un ancien président français.

Jacques Chirac, qui était absent du tribunal, a immédiatement «pris acte» de cette décision et a affirmé dans un communiqué qu'il serait «présent à la date fixée par le tribunal pour la reprise des audiences»

Siégeant depuis la veille pour juger l'ex-chef de l'Etat avec neuf co-inculpés, le tribunal correctionnel de Paris a accepté le recours constitutionnel de l'avocat de l'un de ces co-inculpés et a évoqué les «alentours du 20 juin» pour une reprise des débats, qui pourrait n'être qu'une séance préliminaire.

Le président du tribunal, Dominique Pauthe, a estimé que la question posée par l'avocat d'un ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac avait un caractère «sérieux». Il a décidé du report du procès, puis de la saisine de la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire française, qui pourra à son tour se tourner vers le Conseil constitutionnel.

L'avocat estimait anormal de juger les faits si longtemps après qu'ils aient été commis, considérait qu'ils auraient dû être prescrits, et il a donc demandé au tribunal de faire vérifier que tout cela était bien conforme à la Constitution.

Poursuivi pour une affaire d'emplois fictifs remontant au début des années 1990, lorsqu'il était maire de Paris, Jacques Chirac, 78 ans, n'avait pas assisté lundi à l'ouverture du procès, lorsque ces points de droit avaient été discutés.

Il s'est également soustrait à la deuxième journée du procès mardi, et n'envisageait de se présenter devant le tribunal que mercredi, si le procès avait été maintenu.

Le recours constitutionnel était soutenu par le parquet, qui dépend en France du ministère de la Justice, et qui a toujours été opposé à un procès de l'ex-président.

Jérôme Karsenti, l'avocat de l'association Anticor contre la corruption, qui était représentée aux audiences, a vu dans la décision du tribunal un «déni de justice».

Cette décision «risque de renforcer le sentiment de plus en plus répandu chez les Français d'une justice à deux vitesses, où le droit est instrumentalisé au profit d'une catégorie de citoyens privilégiés», a estimé l'ONG Transparence International.

L'ancien président était redevenu un justiciable ordinaire en quittant l'Elysée en 2007.

Il est soupçonné d'avoir permis que des personnes travaillant essentiellement pour son parti, le RPR (ancêtre de l'UMP, le parti de l'actuel président Nicolas Sarkozy), soient rémunérées par la mairie de Paris. Maire de Paris de 1977 à 1995 avant d'être élu président (1995-2007), il n'a cessé de récuser l'existence d'un «système organisé».

Des doutes sur l'organisation du procès étaient soulevés depuis quelques semaines en raison de la santé déclinante de l'ancien président, la silhouette désormais voûtée et le pas hésitant. Son épouse Bernadette a même dû démentir fin janvier qu'il souffrait de la maladie d'Alzheimer.

Le procès comprend deux volets. L'un, pour lequel M. Chirac est accusé de «prise illégale d'intérêt», a été instruit à Nanterre (près de Paris) et porte sur sept emplois présumés de complaisance. L'autre, pour lequel l'ex-président est poursuivi pour «détournement de fonds publics» et «abus de confiance», a été instruit à Paris et porte sur 21 emplois.

Dans le volet de Nanterre, plusieurs condamnations avaient déjà été prononcées en 2004, notamment à l'encontre de l'ancien Premier ministre (et actuel chef de la diplomatie) Alain Juppé, à l'époque secrétaire général du RPR et adjoint aux Finances à la mairie de Paris.

L'ancien président encourt en théorie 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende, ainsi que cinq ans de radiation des listes électorales et 10 ans d'inéligibilité.