Bien qu'attendu après des commentaires sans appel de Vladimir Poutine, le jugement de culpabilité prononcé lundi à l'encontre de l'ex-magnat du pétrole et contradicteur du Kremlin Mikhaïl Khodorkovski douche les espoirs de changements libéraux en Russie.

«Je m'y attendais, mais je suis affligée», a déclaré Lioudmila Alexeïeva, présidente du groupe Helsinki de Moscou, après que le tribunal eut reconnu M. Khodorkovski coupable de vol de millions de tonnes de pétrole et de blanchiment d'argent dans son deuxième procès.

Pour de nombreux analystes et défenseurs de droits de l'homme, les déclarations, le 16 décembre dernier, de l'ex-président et actuel Premier ministre Vladimir Poutine ont scellé le sort du prisonnier le plus célèbre de Russie, incarcéré depuis 2003.

«Poutine a dit ''tout voleur doit aller en prison''. C'était une pression directe, cynique et sans précédent» sur la justice, souligne Lilia Chevtsova, de l'antenne moscovite du centre Carnegie, interrogée par l'AFP.

«Dans cette situation, si le juge Viktor Danilkine avait voulu échapper à la verticale du pouvoir (et prononcer l'acquittement, ndlr), c'était comme faire hara-kiri», poursuit Mme Chevtsova.

Bien que la peine ne soit annoncée qu'à la fin du jugement, Amnesty International a déjà appelé lundi la Cour suprême russe à «annuler» ce jugement. La défense a d'ores et déjà annoncé qu'elle allait interjeter appel.

«Il y a des motifs politiques dans cette affaire, et une ingérence qui a rendu difficile une décision judiciaire équitable», souligne Amnesty dans un communiqué.

Le résultat de ce procès présenté comme un test pour les intentions libérales du président Dmitri Medvedev, qui s'est affiché en faveur de la modernisation et de la réforme judiciaire, montre qui tient les rênes du pouvoir en Russie, estime le politologue Iouri Korgouniouk.

«C'est un coup dur pour Medvedev. Il peut améliorer son image s'il gracie Khodorkovski mais il y a peu de chance que cela arrive», a dit M. Korgouniouk à l'AFP.

«Medvedev parle plus qu'il n'agit. Pour les Occidentaux, il n'y a qu'une conclusion dans cette affaire: ce que dit Poutine devient réalité, ce que dit Medvedev reste lettre morte», conclut-il.

Le conseiller économique du Kremlin, Arkadi Dvorkovitch, avait lui-même émis des doutes à la mi-décembre sur le bien-fondé des accusations contre M. Khodorkovski, à l'instar du ministre de l'Industrie Viktor Khristenko et de Guerman Gref, ministre du Développement économique à l'époque des faits, qui ont témoigné au procès.

Un ancien représentant du patronat russe recruté comme conseiller par M. Medvedev, Igor Iourguens, a montré lundi sa déception, déclarant que ce jugement «n'inspire pas d'espoir quant à la réforme de la justice» annoncée par le président russe.

Il avait estimé dans une interview publiée lundi par le quotidien Kommersant qu'un acquittement de M. Khodorkovski serait «juste», «pragmatique» et «rationnel».

«C'est un cauchemar. Le jugement de culpabilité signifie que toutes les lois et tous les droits sont piétinés et met une croix sur toutes les déclarations sur la modernisation», a commenté l'opposant libéral Boris Nemtsov.

Les marchés russes ont brièvement plongé après l'annonce de la culpabilité de l'ex-homme le plus riche de la Russie, une décision qui pourrait décourager de potentiels investisseurs.

«Les investisseurs déjà présents ont accepté les règles du jeu en Russie. Pour ceux qui hésitent, cette décision envoie un message: il faut faire attention», estime Chris Weafer, économiste en chef de la banque Uralsib.

Un porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel a indiqué lundi que Berlin suivait l'affaire avec «la plus grande attention» dans l'attente de l'énoncé de la peine infligée à M. Khodorkovski, soulignant en substance qu'il s'agissait d'un test pour le «développement d'un État de droit moderne en Russie».