La justice russe entame mercredi l'énoncé du verdict dans le deuxième procès de Mikhaïl Khodorkovski, l'ex-homme le plus riche de Russie qui risque 14 ans de camp, une affaire politiquement lourde de sens et considérée par certains comme emblématique pour juger de l'évolution du pays.

Ancien patron de Ioukos, fleuron de l'industrie pétrolière démantelé au profit d'entreprises proches du Kremlin, M. Khodorkovski et son principal associé Platon Lebedev sont jugés depuis mars 2009 pour le vol de 218 millions de tonnes de pétrole.

Le parquet a requis 14 ans de camp contre les deux hommes, incarcérés depuis 2003, qui purgent déjà une peine de huit ans pour escroquerie à grande échelle et évasion fiscale.

L'affaire Ioukos est très largement considérée comme une manoeuvre orchestrée par le pouvoir russe pour briser un oligarque devenu trop indépendant.

Vladimir Poutine, ex-président et actuel Premier ministre, a comparé M. Khodorkovski au financier véreux américain Madoff et à Al Capone et l'a accusé d'avoir commandité des meurtres bien que ce chef d'accusation n'ait jamais été retenu par la justice.

Pour ses partisans, Khodorkovski est une victime du régime autoritaire instauré en Russie après l'arrivée au pouvoir de M. Poutine.

«Je n'exagérerai pas en disant que des millions d'yeux suivent ce procès à travers le pays, à travers le monde entier», a dit M. Khodorkovski dans sa dernière déclaration le 2 novembre. «Votre verdict, quel qu'il soit, entrera dans l'histoire de la Russie et la la déterminera pour les futures générations», a-t-il lancé au juge Viktor Danilkine.

Pour de nombreux observateurs, le verdict sera un test du libéralisme affiché par le président Dmitri Medvedev et enverra un signal aux élites et aux investisseurs étrangers.

«Un verdict soutenant l'accusation soulignera le principal problème de la Russie: personne n'est protégé. Ce sera un très mauvais signal pour les jeunes entrepreneurs ambitieux», a déclaré à l'AFP Gleb Pavlovski, politologue qui fut l'un des principaux idéologues de l'époque Poutine.

«Les hommes d'affaires comptent sur Medvedev pour résoudre ce problème. Ils vont juger d'après ce verdict s'il a réussi à surmonter la pression du vieux régime. C'est un procès emblématique pour la nouvelle génération», a-t-il ajouté.

Le président américain Barack Obama a qualifié en juillet de «bizarres» les nouvelles accusations contre MM. Khodorkovski et Lebedev apparues «des années après leur emprisonnement et au moment où ils pourraient être graciés».

Le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle, a déclaré en novembre que Berlin relayait «les inquiétudes (de la société civile russe)» en invitant la Russie à «prendre au sérieux» ces inquiétudes.

En juin, la défense avait marqué un point en convoquant comme témoins l'actuel ministre de l'Industrie, Viktor Khristenko, et l'ancien ministre du Développement économique, Guerman Gref, qui n'avaient pu cacher leurs doutes sur les chefs d'inculpation.

M. Gref avait notamment estimé qu'il n'aurait pas manqué d'être informé si un cinquième du pétrole produit par la Russie en un an avait été détourné lorsqu'il était ministre.

Pour le sociologue Lev Goudkov, directeur du centre Levada, le procès de Khodorkovski a «d'ores et déjà sonné le glas des espoirs de changements libéraux» en envoyant aux milieux des affaires le message que «la propriété privée est garantie en échange de la loyauté et de la fusion avec la bureaucratie».

Le sort de Khodorkovski «n'est pas décidé au tribunal, mais au Kremlin et il n'est pas clair qui gagnera, entre les siloviki (responsables liés à l'armée et aux services spéciaux) et les technocrates», conclut-il.