Sotchi est en train de relever un défi olympien. Prise de court il y a trois ans par l'obtention surprise des Jeux d'hiver de 2014, cette station balnéaire russe construit à la hâte son rêve olympique. Et rien ne peut arrêter le pouvoir russe, qui souhaite en mettre plein la vue au reste du monde. Ni une grève de la faim de citoyens expropriés. Ni les écolos qui crient au désastre écologique. Ni l'explosion des coûts qui vient de faire grimper la facture de quelques dizaines de milliards de dollars.

Sur la route principale de Krasnaïa Polyana, la poussière n'a jamais le temps de retomber. Des centaines de camions passent en trombe chaque jour pour transporter les matériaux nécessaires aux constructions olympiques.

«C'est peut-être temporaire, mais nous, nous n'habitons pas ici temporairement!» s'emporte Claudia, la cinquantaine. Habitante du village depuis toujours, elle s'indigne de voir la sérénité de Krasnaïa Polyana emportée par la vague olympique.

En 2014, c'est dans cette bourgade montagnarde à 60 km de Sotchi que se dérouleront toutes les épreuves de neige. La petite station de ski désuète déjà existante vivra désormais dans l'ombre de quatre grands complexes olympiques. Et les modestes maisons des villageois devront s'accoutumer aux imposants hôtels en construction.

«Je suis contre depuis le début. Tout le monde est contre, mais personne ne nous a demandé notre avis», souligne Claudia en transportant ses sacs d'épicerie. «Ils ont organisé ces Jeux simplement pour blanchir de l'argent!» lance-t-elle, énervée, avant de s'engouffrer dans sa voiture sans révéler son nom de famille.

Un peu plus loin, Vyatcheslav Soulimenko, 71 ans, assure être «pour le progrès», donc pour les JO. «Mais d'un autre côté, j'ai peur pour l'environnement. Ils ont abattu beaucoup d'arbres et des animaux ont fui», explique ce chasseur et guide touristique, en sirotant une bière en milieu d'après-midi sur un banc public.

Pas de jeux verts

«Nous aurions pu avoir des JO verts, comme les organisateurs avaient promis», croit de son côté Dmitri Kaptsov, militant de la Faction écologiste, une organisation environnementale locale. «Mais le projet s'est heurté à la réalité russe.»

Selon lui, pour tenir des Jeux sans conséquence écologiques, la Russie aurait dû se préparer au moins quatre ou cinq ans avant de présenter sa candidature. Or, après le discours flamboyant de Vladimir Poutine en juillet 2007, le Comité international olympique a cru sur parole au projet cher à l'homme fort du pays... même si la ville candidate ne disposait à ce moment d'aucune des installations nécessaires à la tenue des Jeux.

Pris de court par leur victoire, les organisateurs n'ont pas pu mener toutes les expertises écologiques nécessaires pour minimiser les impacts, estime Dmitri Kaptsov. «Au lieu de respecter les lois, ils les changent. Si avant c'était un crime de couper certains arbres dans un secteur, maintenant, c'est totalement légal.»

En 2007, les groupes verts ont réussi à faire déplacer la piste de bobsleigh projetée, qui aurait détruit l'habitat naturel de plusieurs animaux. Ce fut leur seule victoire. Après une brève collaboration, Greenpeace, WWF et la Faction écologiste ont tourné le dos à la société étatique responsable des travaux, Olympstroï.

«Il n'y a jamais eu autant d'attention consacrée à l'environnement dans un projet en Russie», affirme pour sa part Alexandra Kasterina, porte-parole d'Olympstroï. Elle indique que les dommages causés à l'environnement seront compensés par l'ajout de 20 000 hectares de forêt protégée au parc national près de Sotchi.

Pour les verts, la principale menace écologique touche la rivière Mzymta. Le long de ce cours d'eau sont actuellement construits en parallèle une route neuve et un chemin de fer pour lier l'aéroport aux sites olympiques de Krasnaïa Polyana. «La moitié de la ville de Sotchi s'y abreuve», s'inquiète Dmitri Kaptsov. Au coût mirobolant de 6,5 milliards, le projet prévoit notamment 23 ponts ferroviaires et six tunnels pour trains et automobiles.

Cette route et d'autres «imprévus» ont fait tripler la facture olympique. En juin, le ministère des Régions a estimé que les investissements privés et publics pour les 242 installations nécessaires à la tenue des Jeux totaliseraient 950 milliards de roubles, soit 31 milliards de dollars.

Les critiques du pouvoir montrent du doigt la corruption qui gangrène le pays pour expliquer en partie l'explosion des coûts. Un entrepreneur a notamment accusé un responsable de l'administration présidentielle d'avoir exigé 12% de la valeur d'un contrat en pots-de-vin. Le fonctionnaire a été démis de ses fonctions en août et fait face à des accusations criminelles.

Grève de la faim

Quant au site principal des Jeux, à quelques centaines de mètres de la mer Noire, les stades et arénas commencent à prendre forme. Au passage de La Presse il y a trois ans, les basses terres d'Imereti - comme les habitants appellent ce secteur parsemé de quelques villages à une quarantaine de kilomètres du centre-ville de Sotchi - n'étaient que champ de maïs entouré de quelques maisons.

De son jardin, Lioubov Fourssa a une vue prenante sur le squelette du futur palais de glace de 12 000 places, qui accueillera les compétitions de patinage de vitesse courte piste et de patinage artistique. Mais pas pour longtemps. D'ici décembre, elle devra quitter sa maison.

Elle fait partie de la centaine de familles expropriées par les autorités. Lorsque la ville a présenté sa candidature, elle assurait pourtant qu'aucun citoyen n'aurait à déménager.

Après une grève de la faim de 24 jours en mai, faute de recevoir la visite exigée du premier ministre Vladimir Poutine, Mme Fourssa et huit autres habitants ont pu rencontrer des responsables olympiques qui leur ont promis une meilleure compensation. Comme la plupart, elle a finalement accepté une maison flambant neuve quelques kilomètres plus loin, dans le village voisin de Nekrassovskoe.

La famille d'Alla Matioukha a fait la même chose. Et selon cette mère de trois enfants, les expropriés en ont eu pour leur argent. «Plusieurs familles n'avaient même pas de toilettes dans leur ancienne demeure», dit-elle.

Mme Matioukha croit qu'il aurait de toute façon été inutile d'opposer une résistance au rêve chéri par le premier ministre Poutine. «Les Jeux olympiques, c'est un projet d'État. Peu importe ce que nous aurions dit, on nous aurait déplacés», conclut-elle.