Les Turcs ont donné dimanche une nette victoire au gouvernement islamo-conservateur, en votant largement «oui» à une révision constitutionnelle qui limite le pouvoir de la hiérarchie judiciaire et de l'armée, deux bastions de la laïcité opposés au régime.

«Environ 58% des électeurs» ont approuvé la révision soumise à référendum, a annoncé à Istanbul le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan.

«Le 12 septembre sera un tournant dans l'histoire démocratique de la Turquie», a déclaré M. Erdogan, dont le Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) avait fait adopter au Parlement en mai dernier ces amendements à la loi fondamentale, rédigée par les militaires après le putsch de 1980.

«Notre peuple a franchi une étape historique sur la voie de la démocratie et de la suprématie de l'État de droit», a-t-il lancé.

La participation au scrutin a été «de l'ordre de 77-78%», a-t-il ajouté.

Les résultats officiels devaient être publiés lundi.

Ce vote constitue un succès important pour M. Erdogan et son parti, avant les élections législatives prévues pendant l'été 2011.

Cette consultation, qui s'est déroulée 30 ans jour pour jour après le putsch de 1980, portait sur un ensemble de 26 points divers, parmi lesquels une réorganisation des hautes instances judiciaires, hostiles à l'AKP, au pouvoir depuis 2002.

Depuis cette date, l'AKP dirigé par M. Erdogan n'a perdu aucun scrutin. Aux dernières législatives de 2007, il avait obtenu 47% des suffrages.

«Ce scrutin avait des allures de vote de confiance pour l'AKP, et il l'a obtenu», a commenté l'analyste politique Tarhan Erdem sur la chaîne de télévision NTV.

Mais pour Riza Türmen, ancien juge à la Cour européenne des droits de l'homme, le fait que plus de 40% des électeurs ont rejeté une nouvelle Constitution est un «gros problème». «Une Constitution doit être le fruit d'un contrat social et il est évident que le nouveau texte n'en est pas un», a-t-il estimé sur CNN-Türk.

M. Erdogan a réaffirmé dimanche que cette réforme renforçait les institutions démocratiques de la Turquie, constituant ainsi un atout dans sa candidature à l'Union européenne (UE).

La révision limite les prérogatives de la justice militaire et modifie, au profit du pouvoir, la structure de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature (HSYK) qui nomme juges et procureurs.

L'opposition laïque et nationaliste affirme que cette réforme menace l'indépendance de la justice et remet en cause la séparation des pouvoirs.

Pendant le vote, des incidents ont éclaté dans le Sud-Est anatolien, majoritairement kurde, où des militants ont empêché certaines personnes de se rendre aux urnes. La police a arrêté environ 90 personnes.

Le principal parti pro-kurde de Turquie avait appelé au boycottage, estimant que cette réforme ne renforce pas les droits des 15 millions de Kurdes.

Au total 49,5 millions d'électeurs, sur une population de 73 millions d'habitants, étaient appelés aux urnes.

Au cours de la campagne, l'AKP a évoqué à plusieurs reprises la période noire du putsch de 1980, affirmant vouloir briser «la tutelle des militaires», déjà sur la sellette en Turquie, où des dizaines d'officiers sont poursuivis pour des complots contre le régime.

«Les perdants (du vote) sont ceux qui soutiennent les putschs et ceux qui résistent aux changements», a affirmé M. Erdogan.

Cette révision constitutionnelle pourrait notamment permettre de juger les auteurs du coup d'État de 1980. L'armée, qui se veut un pilier de la laïcité, a renversé quatre gouvernements, depuis 1960.

Bruxelles salue le résultat du référendum

La Commission européenne a salué dimanche l'approbation par un référendum en Turquie d'une révision constitutionnelle qui «constitue un pas dans la bonne direction», avertissant qu'elle suivrait attentivement sa mise en oeuvre et son application sur le terrain.

L'issue du référendum «démontre la poursuite de l'engagement des citoyens turcs en faveur des réformes, en vue d'accroître leurs droits et libertés», a estimé le commissaire chargé de l'Élargissement de l'Union européenne, Stefan Füle.

Il constitue un pas dans la bonne direction, «dans les efforts de la Turquie pour remplir les critères nécessaires pour son adhésion» à l'UE, relève M. Füle dans un communiqué.

«Mais son impact sur le terrain dépendra de sa mise en oeuvre. Toute une série de lois d'application seront nécessaires et nous suivrons leur préparation très attentivement», précise M. Füle.

Bruxelles partage «le point de vue de beaucoup en Turquie selon lesquels le vote d'aujourd'hui a besoin d'être suivi d'autres réformes nécessaires pour s'attaquer aux priorités qui subsistent dans le domaine des droits fondamentaux, comme la liberté d'expression et la liberté de religion», ajoute-t-il.

Il se dit également «d'accord avec ceux qui, à travers l'échiquier politique, pensent qu'une nouvelle Constitution civile fournirait un fondement solide à un développement