Avocats, magistrats et membres du personnel administratif sont descendus dans la rue hier, à Paris, lors d'une «journée sans justice» qui visait notamment à sensibiliser le public aux répercussions d'une réforme controversée de la procédure pénale.

Plusieurs des participants interrogés devant le palais de justice, dans l'île de la Cité, s'inquiètent de la suppression envisagée du poste de juge d'instruction, un magistrat aux larges pouvoirs qui est normalement chargé d'enquêter sur les affaires les plus délicates.

Le gouvernement souhaite abolir cette fonction et confier ces dossiers aux magistrats du parquet, qui relèvent directement du ministère de la Justice et sont plus susceptibles, à ce titre, de subir l'ingérence du pouvoir exécutif.

«Une démocratie qui a peur de ses juges est une démocratie qui manque de maturité. Maintenant, il faut en convaincre les élus», a souligné une magistrate qui n'a pas voulu donner son nom par crainte de représailles.

«Je sais que l'un de mes supérieurs n'apprécie pas que l'on manifeste, que l'on fasse grève, et je ne veux pas avoir de problèmes. C'est une réalité que je déplore mais c'est comme ça», a-t-elle expliqué.

Sarkozy «prédateur»

Les magistrats du parquet n'ont rien à gagner de la réforme s'ils ne disposent pas d'une plus grande indépendance, a assuré un autre de ses collègues, lui aussi sous le couvert de l'anonymat. «Or, la ministre de la Justice a déjà indiqué que la question de notre statut n'était pas discutable», a-t-il déploré.

Plusieurs manifestants voulaient aussi dénoncer le manque de ressources matérielles et humaines dans le système judiciaire.

«On manque de tout», a déclaré Anne-Marie Tessier, greffière de 30 ans d'expérience qui se réjouit de pouvoir prendre sa retraite à la fin de l'année.

«Ça ne sert à rien de rendre des jugements : on va manquer de papier pour les imprimer», lance une de ses collègues, qui qualifie la situation de «catastrophique».

Près d'un millier de personnes ont pris part hier à la manifestation, sous le regard attentif d'un imposant contingent de policiers.

«Résistance à ceux qui veulent casser la justice», scandaient les participants, qui étaient plusieurs à porter la toge traditionnelle. L'un d'eux levait au ciel une pancarte décrivant le président français Nicolas Sarkozy comme le «prédateur» du juge d'instruction, une «espèce menacée».

Justice pour les puissants?

Le Parti socialiste a donné un large écho aux critiques contre le projet de réforme. L'ex-ministre de la Justice Élisabeth Guigou, qui était présente à la manifestation, a déclaré que la réforme a pour objectif de créer une justice «indulgente pour les riches et les puissants, et en revanche impitoyable avec les plus faibles».

La ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui nie que le système souffre de sous-financement, maintient qu'une révision de la procédure pénale est nécessaire pour la rendre «très claire, très lisible, parfaitement équitable et objective».

Le sujet ne risque pas de disparaître de l'actualité avant longtemps puisque la garde des Sceaux prévoit que la réforme controversée ne sera examinée pour approbation qu'à l'hiver 2011.