(Galveston, Texas) A priori, la vie à Galveston a tout pour plaire.

La petite île du golfe du Mexique, tout au sud du Texas, est bordée de plages où il fait bon prendre le soleil en regardant défiler les pétroliers en route vers le port voisin de Houston.

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE

Diana Ward, une Texane en vacances à Galveston, scrute l’horizon à partir de l’une des plages de l’île.

Lors du passage de La Presse, en septembre, Diana Ward scrutait l’horizon, confortablement installée dans une chaise fichée dans le sable.

Bien que l’eau ne soit pas toujours de première qualité, sa famille revient régulièrement dans la ville de 50 000 habitants, et ce ne sont pas les risques posés par le passage occasionnel d’ouragans qui sont susceptibles de l’en dissuader.

« La dernière fois que l’on est venus, il y a quelques années, on avait dû partir un peu plus tôt. Une tempête tropicale venait d’être déclarée ouragan de catégorie 1 », relate la dame de 52 ans, qui habite au centre de l’État.

Des membres de sa famille, qui vivaient à Galveston, ont été moins chanceux par le passé et ont dû se reloger d’urgence plus au nord en raison d’un ouragan qui avait détruit leurs deux voitures.

C’était un évènement traumatisant pour eux. Il est impossible de vivre au Texas sans être affecté par les ouragans, que ce soit directement ou par l’entremise de personnes qu’on connaît.

Diana Ward, Texane de 52 ans

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE

T.J. Bath et Dan Hawkins, qui se disent bien conscients de l’histoire tragique de l’île, sont heureux de vivre leur retraite à Galveston.

Le passage de tempêtes dévastatrices n’est pas non plus de nature à perturber T. J. Bath et Dan Hawkins, qui font quotidiennement d’énergiques promenades sur la plage à proximité d’un parc d’attractions monté sur pilotis.

« Les gens pensent surtout aux risques durant la saison des ouragans », notent les deux retraités.

PHOTO DAVID J. PHILLIP, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une maison sur pilotis sur une plage de Galveston à l’approche de l’ouragan Ike, en septembre 2008

Ils ont vécu notamment l’ouragan Ike, qui a provoqué d’importants dommages sur l’île en 2008 tout en épargnant leur propre maison. « Nous sommes assurés contre les inondations », dit-il.

Le duo s’estime heureux de la situation puisque de plus en plus de compagnies d’assurances tendent à exclure les zones à risque pour des évènements météorologiques extrêmes.

Dans le cas de Galveston, le risque de destruction est présent dans les esprits depuis plus d’un siècle, bien avant que la question de l’impact des gaz à effet de serre ne s’impose à l’ordre du jour.

PHOTO FOURNIE PAR LE GALVESTON AND TEXAS HISTORY CENTER

Quelques maisons ont résisté au passage de l’ouragan de 1900.

Les habitations de l’île ont en effet été presque entièrement détruites en 1900 par un ouragan dont l’arrivée n’avait été annoncée que tardivement, à une époque où les moyens de surveillance étaient embryonnaires.

Un ouragan poussant une onde de tempête de près de 5 m de hauteur a tout submergé, faisant de 6000 à 10 000 morts, un bilan qui en fait l’une des catastrophes naturelles les plus meurtrières de l’histoire des États-Unis.

Le Galveston and Texas History Center conserve dans ses archives plusieurs photos d’époque qui donnent une idée de l’ampleur du drame.

PHOTO FOURNIE PAR LE GALVESTON AND TEXAS HISTORY CENTER

Des ouvriers noirs ont été mobilisés, parfois contre leur gré, pour aider à recueillir les cadavres des nombreuses victimes de l’ouragan de 1900 à Galveston.

Plusieurs montrent des corps perdus au milieu de montagnes de débris.

Les victimes étaient si nombreuses que les autorités ont décidé d’empiler des centaines de cadavres sur une barge et de les lester pour les faire disparaître en mer.

« Un certain nombre ont cependant été ramenés sur les plages de l’île par les vagues. Finalement, les autorités ont décidé d’en brûler bon nombre dans des feux à ciel ouvert », note Joseph Pellerin, professeur d’histoire de la région rencontrée dans la vieille ville de Galveston.

L’île, avant sa destruction, était extrêmement prospère, en raison notamment de son rôle dans le commerce du coton. Le développement du port de Houston l’a privé de son rôle central, mais n’a pas empêché la reconstruction des maisons et des commerces, note M. Pellerin.

Un mur de 5 m de haut a été aménagé sur plusieurs kilomètres pour freiner les ondes de tempête pouvant survenir avec de nouveaux ouragans, et l’ensemble de l’île a été rehaussé en conséquence, une tâche titanesque.

La tactique, note l’historien, a donné de bons résultats pendant des décennies, mais d’autres tempêtes ont depuis fait des dommages importants.

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE

Joseph Pellerin, historien local, montre la hauteur atteinte par l’eau au centre-ville de Galveston lors des inondations causées par l’ouragan Ike.

Lors de l’ouragan Ike, en 2008, l’eau a contourné le mur de protection de part et d’autre et inondé l’île « par l’arrière », relève l’historien en montrant sur une des maisons du centre-ville une plaque indiquant que le niveau de l’inondation approchait le second étage.

« Ike était un ouragan de catégorie 2 avec une onde de tempête de catégorie 4. On n’avait jamais vu ça », note M. Pellerin.

Le professeur William Merrell, qui enseigne les sciences marines à l’Université Texas A&M à Galveston, se souvient bien de cette journée puisqu’il s’était réfugié dans un immeuble historique du secteur appartenant à sa famille.

« En regardant l’eau monter, je me suis dit que les Néerlandais n’auraient jamais accepté une telle situation », relate l’expert qui s’est mis à travailler sur un ambitieux projet de digue mobile inspiré des Pays-Bas visant à protéger Galveston et l’entrée de la baie menant à Houston.

Un projet colossal de 80 milliards

L’Ike Dike, ainsi qu’on l’appelle en anglais, prévoit l’utilisation de deux énormes portes battantes susceptibles d’être fermées pour encaisser l’onde de tempête d’un ouragan, des panneaux métalliques pouvant monter et descendre, ainsi qu’un renforcement et un prolongement du mur existant à Galveston.

Le niveau des eaux dans la région, qui pourrait augmenter encore de 50 cm d’ici 2050, selon certaines études, combiné au gain de puissance prévisible des ouragans, rend essentielle, selon lui, la création d’une infrastructure de cette nature.

La présence le long de la voie maritime menant à Houston d’un important complexe pétrochimique qui pourrait se transformer, faute de protection adéquate, en véritable « Tchernobyl américain » rend l’aménagement du dispositif particulièrement crucial, soulignent ses partisans.

Le coût de la digue mobile, estimée à plus de 80 milliards, est cependant de nature à freiner les ardeurs des autorités.

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE

L’océanographe William Merrell s’est mis à plancher sur un projet de digue pouvant protéger Galveston et ses environs après avoir été pris dans une inondation liée à l’ouragan Ike en 2008.

J’ai avancé l’idée [de la digue mobile] en 2008, nous sommes en 2023 et on est encore au stade de développement.

William Merrell, professeur à l’Université Texas A&M à Galveston

Le Congrès américain a récemment approuvé le projet, qui doit être pris en charge par le Corps des ingénieurs de l’armée américaine, mais n’a pas encore réservé concrètement d’argent à cette fin, relève le chercheur.

PHOTO VASHA HUNT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le gouverneur du Texas, Greg Abbott

L’attitude du gouverneur texan Greg Abbott, qui rechigne à reconnaître le réchauffement climatique et ses impacts, n’est pas de nature à faciliter le processus. Le politicien soutient le projet, mais ne montre pas d’empressement à mobiliser des ressources locales pour le concrétiser.

Un retour aux forteresses du Moyen Âge ?

« Que l’on reconnaisse ou non le réchauffement climatique, il est impossible de nier que le niveau des eaux monte et que la température augmente », dit M. Merrell, qui hausse les épaules lorsqu’on lui demande s’il ne faudra pas à terme abandonner des endroits comme Galveston.

Une ville portuaire de la région, Indianola, avait été délaissée à la fin du XIXsiècle par ses 5000 habitants après avoir été frappée deux fois par des ouragans, mais il paraît difficile d’envisager une répétition de ce scénario, selon le chercheur.

Les ports continueront d’exister à l’avenir et les gens qui les font fonctionner continueront de vouloir s’installer à proximité, relève M. Merrell, qui évoque la possibilité que plusieurs installations côtières jugées essentielles soient protégées à terme contre les éléments.

Les personnes qui s’entêtent à vivre en zone à risque pourraient venir s’y réfugier en cas d’ouragan, un peu comme les serfs le faisaient « au Moyen Âge » en se réfugiant dans le château de leur seigneur en cas d’attaque.

T.J. Bath pense que la digue projetée est une bonne idée même s’il convient que la facture de plusieurs dizaines de milliards peut paraître considérable.

« Ce n’est pas seulement pour protéger Galveston. C’est aussi pour protéger toute l’industrie pétrochimique qui fait vivre Houston », dit-il.

« De toute façon, les projets d’infrastructure coûtent toujours cher. On est en retard sur les Néerlandais qui font des choses de ce genre depuis des décennies », souligne le retraité.

Diana Ward est aussi d’avis que le projet de barrage est une bonne chose, puisque « l’eau va continuer à venir », plus encore avec le réchauffement climatique, dit-elle.

La Texane n’a pas l’intention, quoi qu’il advienne, de mettre un terme à ses visites dans l’île.

« Pourquoi est-ce qu’on le ferait ? Ce serait comme laisser gagner la météo », dit-elle.

En savoir plus
  • 5,3
    Nombre annuel moyen de catastrophes naturelles entraînant des dommages d’une valeur de plus de 1 milliard US (1,3 milliard CAN) au Texas. Aucun autre État américain ne présente un total plus élevé.
    Source : National Oceanic and Atmospheric Administration