(New York) C’est fini. Avant même d’annoncer sa candidature à la présidence, Ron DeSantis a déjà perdu la course à l’investiture républicaine. Après tout, le gouverneur de Floride n’accuse-t-il pas un retard de 40 points de pourcentage sur Donald Trump dans certains sondages nationaux ? Et que dire de son manque de charisme !

« Le problème de Ron DeSanctimonious est qu’il a besoin d’une greffe de personnalité, et ce type de transfert n’est pas encore disponible », a ironisé l’ancien président dans une pub diffusée vendredi. Il s’amusait de nouveau avec le nom de son rival virtuel, tout en soulignant une de ses lacunes présumées. Lacune qui a poussé quantité de commentateurs à conclure que l’adversaire le plus sérieux de Donald Trump ne faisait pas le poids.

Une manchette récente du site Talking Points Memo résumait ce discours médiatique dominant : « Tous les reporters sont d’accord : DeSantis est cuit ! »

De toute évidence, Amy Sinclair et Matt Windschitl n’ont pas reçu le mémo. Vendredi, Sinclair, présidente du Sénat d’Iowa, et Windschitl, chef de la majorité à la Chambre des représentants du Hawkeye State, ont annoncé leur soutien au gouverneur de Floride.

Ils l’ont fait de surcroît à la veille des déplacements attendus de DeSantis et de Trump dans leur État rural du Midwest, où se tiendra au début de 2024 le premier rendez-vous électoral de la course à l’investiture républicaine (le rassemblement de l’ex-président a été annulé en raison de la météo).

PHOTO CHARLIE NEIBERGALL, ASSOCIATED PRESS

Ron DeSantis s’adresse à des supporteurs républicains lors d’une levée de fonds organisée à Sioux Center, en Iowa, samedi.

« Nous avons besoin d’un leader qui regarde vers l’avenir, et non d’un leader qui regarde dans le rétroviseur », a expliqué Windschitl au Des Moines Register.

Le soutien d’élus n’est évidemment pas garant de succès dans une course à l’investiture pour la présidence. Et la victoire aux caucus d’Iowa ne l’est pas davantage, comme peuvent en témoigner Ted Cruz, Rick Santorum et Mike Huckabee.

Mais l’appui de Sinclair et Windschitl à DeSantis s’ajoute à celui de 35 autres parlementaires républicains d’Iowa. De quoi confirmer en partie la thèse des stratèges qui composeront l’équipe de campagne de Ron DeSantis : le gouverneur de 44 ans jouit d’une position enviable dans les trois États qui voteront en premier durant les caucus et primaires du Parti républicain en 2024 – l’Iowa, le New Hampshire et la Caroline du Sud.

Un paysage politique mouvant

Ces stratèges ont dévoilé leur thèse à Jonathan Martin, chroniqueur au site Politico, dans l’espoir, précise ce dernier, de contrer le « narratif » entretenu par les « élites capricieuses » du Parti républicain et les médias « accros au show de Trump ».

(Dans son livre The Courage to Be Free : Florida’s Blueprint for America’s Revival, DeSantis tempête à plusieurs reprises contre le « narratif des médias du régime » dont fait partie Politico. D’où le caractère exceptionnel du contact de son camp avec un journaliste de ce site.)

Voici quelques-unes des idées maîtresses sur lesquelles repose la thèse des stratèges du gouverneur : les sondages nationaux menés à huit mois des caucus de l’Iowa ne veulent rien dire ; la majorité des électeurs républicains de l’Iowa, du New Hampshire et de la Caroline du Sud sont prêts à tourner la page, selon des sondages internes ; le bilan législatif de DeSantis est un atout auprès des électeurs conservateurs ; les donateurs républicains couvriront le gouverneur de billets verts dès la confirmation de sa candidature, d’ici juin.

Au-delà de cette thèse, il y a une évidence : dans six mois, le paysage politique aura peut-être changé complètement.

Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler le consensus médiatique de novembre 2022. Au lendemain des élections de mi-mandat, Ron DeSantis, réélu avec éclat, incarnait l’avenir du Grand Old Party, alors que Donald Trump, considéré comme le grand perdant de ce rendez-vous électoral, léchait ses plaies à Mar-a-Lago.

Six mois plus tard, l’ancien président domine la course républicaine malgré ses ennuis judiciaires – et grâce à des attaques auxquelles Ron DeSantis ne répond pas vraiment.

Le gouverneur pensait pouvoir préparer tranquillement le terrain en vue de l’annonce de sa candidature en promouvant un livre, The Courage to Be Free : Florida’s Blueprint for America’s Revival, dans plusieurs États, et en promulguant les projets de loi issus du Parlement de Floride. Mais il aura surtout retenu l’attention – et suscité les critiques – en réduisant la guerre en Ukraine à une « dispute territoriale » et en donnant l’impression de mener une vendetta personnelle contre Disney, symbole à ses yeux du « wokisme » dont il veut débarrasser la Floride.

Jouer cartes sur table

Ce combat contre le « wokisme » continue de jouer un rôle crucial dans la précampagne de Ron DeSantis. Vendredi soir, en Illinois, ce dernier a rappelé qu’il promulguerait sous peu un projet de loi destiné à empêcher les institutions publiques de l’État de promouvoir la diversité, l’inclusion et l’équité, concepts relevant du « wokisme », selon lui.

« Nous ne nous rendrons jamais à la meute woke », a-t-il promis.

PHOTO JOSEPH CRESS, ASSOCIATED PRESS

Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, prend la parole dans le cadre d’un rassemblement de partisans républicains organisé dans un hôtel de Cedar Rapids, en Iowa, samedi.

Le lendemain, il a lancé un autre message susceptible de plaire aux militants les plus à droite de son parti. Dans un tweet viral, il a qualifié de « bon Samaritain » Daniel Penny, ex-Marine blanc inculpé d’homicide involontaire en lien avec la mort par étranglement d’un sans-abri noir en crise dans le métro de New York, le 1er mai dernier.

Le même jour, dans l’Iowa, Ron DeSantis a attaqué Donald Trump en termes voilés, appelant les électeurs républicains à « rejeter la culture de la défaite » s’ils veulent reprendre la Maison-Blanche en 2024.

Et d’ajouter : « Gouverner, ce n’est pas divertir. Gouverner, ce n’est pas bâtir une marque ou intervenir sur les réseaux sociaux. Au bout du compte, il s’agit de gagner et de produire des résultats. »

Qui sait à quoi ressemblera le paysage politique américain dans six mois ? En attendant, Ron DeSantis aura sans doute besoin de s’attaquer plus durement – et nommément – à Donald Trump, s’il veut changer le « narratif ».

L’histoire jusqu’ici

Novembre 2022

Ron DeSantis décroche un deuxième mandat au poste de gouverneur de Floride, écrasant le démocrate Charlie Crist par 19,4 points de pourcentage.

Février 2023

Ron DeSantis lance un livre, The Courage to Be Free : Florida’s Blueprint for America’s Revival, considéré comme un prélude à une campagne présidentielle.

Mars 2023

Bloomberg rapporte que Donald Trump jongle avec plusieurs surnoms pour Ron DeSantis. Parmi ceux-ci : « Tiny D », « Ron DisHonest » et « Ron DeEstablishment ».

Avril 2023

Disney poursuit Ron DeSantis, l’accusant d’avoir mené « une vengeance gouvernementale ciblée » pour punir la société d’avoir exercé sa « liberté d’expression » en critiquant la loi surnommée « Don’t Say Gay ».