(New York) En lisant le New York Times au lendemain de l’annonce de la candidature de Joe Biden à sa réélection, certains lecteurs de tendance démocrate ont peut-être été plongés dans un état de stress post-traumatique.

Dans une analyse expliquant l’optimisme des dirigeants démocrates concernant les chances du président de décrocher un second mandat, l’auteur mentionnait le « mur bleu », expression qui a connu son heure de gloire (ou d’infamie) dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle de 2016.

Le « mur bleu » fait référence aux 18 États américains et au district fédéral (Columbia) qui ont voté sans interruption pour les candidats démocrates aux élections présidentielles de 1992 à 2012. Ces États, situés sur les deux côtes et dans le Midwest, ainsi que ce district comptaient alors pour 242 des 270 grands électeurs nécessaires pour remporter la présidence.

Ainsi, dès novembre 2014, des commentateurs et des stratèges ont commencé à évoquer ce soi-disant avantage démocrate en parlant de l’élection présidentielle de 2016. Certes, reconnaissaient-ils, Barack Obama et ses alliés démocrates du Congrès avaient subi une défaite douloureuse aux élections de mi-mandat, signe d’un mécontentement tenace au sein de la population américaine. Mais ce « mur bleu » allait représenter un atout considérable, voire insurmontable, pour une candidate présidentielle comme Hillary Clinton en 2016.

Après tout, l’ancienne secrétaire d’État ou tout autre candidat démocrate à la présidence n’avait besoin de remporter que 28 grands électeurs de plus pour atteindre le chiffre magique de 270.

On connaît la suite de cette histoire, qui a traumatisé une partie de la population américaine : le 8 novembre 2016, Donald Trump a percé le « mur bleu » en battant sa rivale démocrate dans trois des États-clés le composant, soit la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin.

Quatre ans plus tard, Joe Biden a remis ces États dans la colonne démocrate. Mais peut-on tenir pour acquis qu’il en sera de même en 2024, comme semblent le croire certains dirigeants et stratèges démocrates ?

En 2016, le « mur bleu » avait contribué à un optimisme démocrate que ne justifiaient pas les sondages sur l’état d’esprit des Américains après huit années de pouvoir démocrate à la Maison-Blanche.

En 2023, les résultats des sondages sont encore pires pour Joe Biden et les démocrates.

Plus de 70 % des Américains pensent que leur pays est engagé sur une mauvaise voie. Autant disent que l’économie américaine est mauvaise. Et moins de 45 % pensent que Joe Biden fait un bon travail à la Maison-Blanche, malgré un bilan législatif remarquable à plusieurs égards.

Pour autant, les dirigeants et stratèges démocrates se montrent confiants quant aux chances de Joe Biden, surtout si les républicains choisissent Donald Trump comme candidat présidentiel.

Impossible d’échapper à une impression de déjà-vu.

PHOTO MICHAEL CONROY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’ancien président américain, Donald Trump

Les dirigeants démocrates défendent leur optimisme en expliquant que la carte et les enjeux électoraux d’aujourd’hui sont plus favorables à Joe Biden qu’ils ne l’étaient en 2016 pour Hillary Clinton. Lors des élections de mi-mandat de 2022, par exemple, les candidats démocrates au poste de gouverneur de Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin ont tous triomphé sur des candidats trumpistes, et par des marges importantes en Pennsylvanie et au Michigan.

L’enjeu de l’avortement a joué un rôle clé lors de ces résultats, comme cela a été le cas lors d’une élection plus récente au Wisconsin qui a fait basculer la majorité des juges de la Cour suprême de cet État dans le camp progressiste.

PHOTO ANDREW CABALLERO-REYNOLDS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des militants pro-choix devant la Cour suprême, le 15 avril dernier

Et l’avortement devrait de nouveau être au cœur du rendez-vous électoral de 2024, selon les stratèges démocrates. À en croire la vidéo de trois minutes par laquelle Joe Biden a annoncé sa candidature, le choix d’interrompre une grossesse fait partie des « libertés » dont les Donald Trump, Ron DeSantis et Marjorie Taylor Greene veulent priver les Américains, selon le président.

« Dans tout le pays, les extrémistes MAGA se bousculent pour supprimer ces libertés fondamentales », déclare Joe Biden dans cette vidéo pendant que défilent les images des trois républicains mentionnés ci-dessus.

Ils dictent les décisions que les femmes peuvent prendre en matière de santé, ils interdisent les livres et ils disent aux gens qui ils peuvent aimer – tout en rendant plus difficile le fait de pouvoir voter.

Extrait de la vidéo annonçant la candidature de Joe Biden

De commenter la sondeuse démocrate Celinda Lake dans une interview au magazine New York : « Je peux vous dire que le thème de la liberté résonne très, très fort, et c’était un thème majeur en 2022 [lors des élections de mi-mandat]. »

Mais qu’en sera-t-il en 2024 si une récession ramène l’économie au sommet des préoccupations des électeurs, comme c’est souvent le cas dans une élection présidentielle ? En se fiant à l’écart entre les taux du Trésor américain à trois mois et à dix ans, les économistes estiment qu’il y a près de 58 % de risques que les États-Unis entrent en récession en mars 2024.

Et rien ne garantit vraiment qu’une candidature de Donald Trump serait une police d’assurance pour Joe Biden. Malgré ses efforts pour renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020, malgré son rôle dans l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole, malgré les procès et enquêtes dont il fait l’objet, l’ancien président ne tire de l’arrière que par 1,4 point de pourcentage sur le président dans les sondages.

Or, en 2016, Hillary Clinton avait remporté le vote populaire par 2,1 points de pourcentage, tout en perdant l’élection au Collège électoral, où Donald Trump avait récolté 304 des 538 grands électeurs.

Et l’on n’a même pas parlé de l’âge de Joe Biden, qui pourrait être à l’élection de 2024 ce que le sexe de Hillary Clinton a été à l’élection de 2016.