(New York) Le procès tant attendu n’aura pas lieu. Désireuse d’éviter un plus grand étalage de ses mensonges sur l’élection présidentielle de 2020, la chaîne d’information Fox News a conclu mardi un règlement à l’amiable avec le fabricant de machines à voter Dominion Voting Systems, qui avait intenté au début de 2021 une poursuite en diffamation de 1,6 milliard de dollars contre elle.

Annoncé à la dernière minute, l’accord prévoit le versement d’une somme de 787,5 millions de dollars par Fox News à Dominion, selon Justin Nelson, un des avocats de la société de technologie électorale.

« La vérité est importante. Les mensonges ont des conséquences », a déclaré l’avocat aux journalistes à l’extérieur du tribunal de Wilmington, au Delaware, où devait se dérouler le procès. « Il y a plus de deux ans, un torrent de mensonges a emporté les responsables électoraux de Dominion à travers l’Amérique dans un univers alternatif de théories du complot, causant un préjudice grave à Dominion et au pays. »

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Le patron de Dominion, John Poulos (au micro), en point de presse après la conclusion du règlement avec Fox News, devant un tribunal de Wilmington, au Delaware

John Poulos, grand patron de Dominion, a salué un règlement « historique », le plus important de l’histoire des États-Unis en matière de diffamation.

« Fox a admis avoir menti au sujet de Dominion », a-t-il précisé.

Fox a admis ses torts de façon indirecte dans une déclaration écrite : « Nous prenons acte des arrêts de la Cour jugeant fausses certaines affirmations concernant Dominion. »

Mais la chaîne conservatrice n’aura pas à admettre ses mensonges ou à présenter des excuses en ondes.

Les verdicts des observateurs n’ont pas tardé à tomber.

« Avec ce règlement, tout le monde gagne », a déclaré au New York Times Martin Garbus, avocat spécialiste des questions ayant trait au premier amendement de la Constitution. « Fox suit son chemin. Dominion encaisse l’argent. »

Michael Socolow, professeur au département de communications et de journalisme de l’Université du Maine, n’a pas contredit le célèbre juriste.

« La somme que Fox News était prête à payer est stupéfiante, a-t-il confié à La Presse. On ne peut pas reprocher à Dominion d’avoir accepté un règlement de 787 millions de dollars. Pour mettre les choses en perspective, cela représente 29 millions de dollars par an pour chaque année d’existence de Fox News, soit 27 ans. »

Même le public est gagnant, car il est à espérer que Fox News sera plus prudente et circonspecte dans la diffusion d’affirmations diffamatoires et fausses en toute connaissance de cause.

Michael Socolow, professeur au département de communications et de journalisme de l’Université du Maine

Une partie du public aurait quand même aimé que la vérité sur les mensonges véhiculés par Fox News et ses animateurs soit révélée au plus grand nombre d’Américains possible dans le cadre d’un procès.

« Malveillance réelle »

Le juge de la Cour supérieure du Delaware Eric Davis a annoncé le règlement plus de deux heures après la fin de la sélection du jury et avant le début des plaidoiries d’ouverture. Il mettait ainsi fin de façon abrupte à un procès dont les étapes préliminaires avaient déjà suscité un intérêt énorme dans les médias en raison des révélations sensationnelles concernant les dirigeants et les stars de Fox News.

Le procès promettait d’être historique pour une autre raison. Dans un pays où il est très rare qu’un média soit condamné pour diffamation, Dominion semblait avoir récolté suffisamment de preuves pour établir que Fox News avait agi avec une « malveillance réelle », un obstacle juridique majeur.

PHOTO JULIO CORTEZ, ASSOCIATED PRESS

Un homme tient une pancarte disant « Fox est coupable » pendant le point de presse de l’équipe de Dominion Voting Systems après la conclusion du règlement à l’amiable avec Fox News, à Wilmington, au Delaware.

Dominion accusait Fox News d’avoir laissé croire aux téléspectateurs que ses machines à voter avaient servi à truquer les résultats de l’élection présidentielle de 2020 et à priver Donald Trump de la victoire qui lui était due. Or, la société technologique était prête à présenter au jury des documents et des témoignages destinés à prouver que les dirigeants et les animateurs de la chaîne savaient que les théories propagées par des alliés de l’ex-président étaient fausses.

Selon la preuve dont disposait Dominion, ces mensonges n’avaient qu’un seul objectif : endiguer la fuite des téléspectateurs de Fox News vers les chaînes Newsmax et OAN, ses concurrentes plus trumpistes.

Cette preuve comprenait notamment des textos et des courriels que se sont échangés les animateurs et dirigeants de Fox News après l’élection du 3 novembre 2020.

« Sidney Powell ment, soit dit en passant. Je l’ai coincée. C’est insensé », écrivait Tucker Carlson, grande star de la chaîne, à sa collègue Laura Ingraham, le 18 novembre 2020.

Et Ingraham de répondre : « Sidney est complètement folle. Personne ne voudra travailler avec elle. Idem pour Rudy [Giuliani]. »

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Rudy Giuliani et Sidney Powell, en novembre 2020

Sidney Powell, avocate alliée à Donald Trump, a néanmoins été invitée à plusieurs reprises sur Fox News, où elle a pu présenter ses théories du complot concernant Dominion. Une de ces théories voulait que les machines à voter de cette entreprise aient été conçues pour truquer les élections en faveur de l’autocrate vénézuélien Hugo Chavez et qu’elles aient été équipées d’un algorithme qui pouvait effacer les votes d’un candidat et les donner à un autre.

Un jour, après avoir vu à la télévision une conférence de presse mettant en scène Powell et Giuliani, Rupert Murdoch, patron de l’empire médiatique auquel appartient Fox News, a écrit à la directrice de la chaîne, Suzanne Scott : « Des choses terribles qui nuisent à tout le monde, je le crains. »

Fox News face à une autre poursuite

Murdoch et Scott devaient défiler à la barre, de même que les Carlson, Ingraham, Sean Hannity et Maria Bartiromo, entre autres animateurs.

Jusqu’au moment de régler la poursuite à l’amiable, la chaîne fondée en 1996 se défendait en faisant valoir qu’elle avait simplement rapporté des allégations dignes d’intérêt formulées par les alliés de Donald Trump et qu’elle était protégée par le premier amendement, qui garantit la liberté de la presse.

Peu importe : Fox News n’est pas au bout de ses peines. Smartmatic, une autre société de technologie électorale, a intenté en février 2021 une poursuite en diffamation de 2,7 milliards de dollars contre la chaîne.

« La poursuite de Dominion a révélé une partie de la mauvaise conduite et des dommages causés par la campagne de désinformation de Fox. Smartmatic exposera le reste », a promis l’entreprise dans une déclaration.