(New York) À entendre Alex Miller, Justin Trudeau ne pourrait pas rencontrer Joe Biden à un pire moment pour parler d’immigration irrégulière, ou illégale, pour employer un mot encore en vogue aux États-Unis.

« C’est incroyablement déconcertant », dit l’avocate de Tucson, en Arizona, d’où elle dirige la campagne de l’American Immigration Council pour un meilleur traitement des migrants à la frontière américano-mexicaine.

Alex Miller réagit en ces termes à une idée examinée ces jours-ci par l’administration Biden : la détention des familles de migrants qui entrent illégalement aux États-Unis.

« L’une des rares avancées importantes réalisées par l’administration Biden lors de son entrée en fonction a été l’arrêt de la détention des familles en 2021, dit-elle. Il est incroyablement décevant qu’elle songe à ramener cette politique, compte tenu des conséquences néfastes pour les familles et les enfants. »

Il ne s’agirait pas de la seule politique de l’ère Trump que Joe Biden ramènerait en partie ou en totalité. Depuis le début de l’année, le président démocrate a annoncé une série de mesures controversées pour réduire le nombre de passages illégaux entre les points d’entrée à la frontière sud.

PHOTO JOSE LUIS GONZALEZ, ARCHIVES REUTERS

Le « Title 42 », un dispositif de santé publique qui a permis de refouler 2,6 millions de migrants depuis sa mise en vigueur au début de la pandémie de coronarivus, expirera le 11 mai.

L’une d’elles autorise les agents frontaliers à refouler les migrants qui n’ont pas demandé l’asile dans un pays tiers où ils ont transité, sauf exceptions. Sous Donald Trump, les tribunaux ont rejeté une version de cette mesure qui ne prévoyait aucune exception.

Expiration du « Title 42 »

Joe Biden se prépare ainsi au 11 mai. Ce jour-là coïncidera avec l’expiration du « Title 42 », un dispositif de santé publique qui a permis de refouler 2,6 millions de migrants depuis sa mise en vigueur par Donald Trump, au début de la pandémie de coronarivus.

L’objectif du président démocrate est évident : prévenir une forte augmentation des migrants à la frontière sud après la levée des restrictions liées à la COVID-19.

Ils s’inquiètent, à juste titre, que ça leur explose en plein visage.

Mark Krikorian, directeur du Centre d’études sur l’immigration, groupe de réflexion qui prône un renforcement des contrôles aux frontières

Dans un tel contexte, il y a lieu de douter de la volonté de Joe Biden de négocier avec Justin Trudeau une entente qui aurait pour effet de permettre au Canada de renvoyer aux États-Unis un plus grand nombre de migrants.

« Nous avons besoin du même type d’accord avec le Mexique, et la conclusion d’un accord avec le Canada renforcerait notre position face aux Mexicains. Mais Biden ne le fera pas », prédit Mark Krikorian, en dénonçant les nombreuses exceptions à la nouvelle règle de l’administration démocrate qui déclare inadmissibles à l’asile les migrants qui ont transité par des pays tiers, y compris le Mexique, sans y avoir demandé protection.

À son avis, l’idée de placer les familles de migrants en détention ne ferait que s’ajouter aux « demi-mesures » annoncées par Joe Biden.

Tout ce que cela veut dire, c’est qu’ils songent à détenir les familles de migrants pour une période maximale de 20 jours avant de les relâcher aux États-Unis. C’est quoi, ce truc ?

Mark Krikorian

Les 20 jours dont parle Mark Krikorian correspondent au maximum de temps qu’un enfant migrant peut être détenu aux États-Unis en vertu d’une décision judiciaire remontant à 1997 et appelée « Flores ». Or, contrairement à Donald Trump, Joe Biden ne tentera pas de revenir sur cette décision.

Ce qui fait dire à Mark Krikorian que la détention des familles de migrants n’aurait aucun effet dissuasif véritable. Sur ce point, le militant anti-immigration exprime la même opinion que les défenseurs des migrants.

« L’idée qui sous-tend la détention des familles est liée à l’espoir mal placé qu’il s’agit d’un moyen de dissuasion, dit Alex Miller, l’avocate de Tucson. Je pense que c’est une erreur. Lorsqu’il s’agit de demandeurs d’asile fuyant la persécution, ce n’est pas la détention des familles qui les dissuade. »

Jusqu’à nouvel ordre, les familles de migrants qui arrivent illégalement aux États-Unis sont relâchées et notifiées de comparaître devant un tribunal à une date ultérieure. Selon l’idée envisagée par l’administration Biden, elles seraient placées en détention durant de courtes périodes, peut-être quelques jours seulement, pendant le traitement de leurs dossiers.

Baisse marquée

Peu importe ce qu’il adviendra de cette idée, un fait est indéniable : le nombre de migrants arrêtés à la frontière sud a chuté depuis le début de l’année. Selon la police frontalière, il se situait en janvier à 128 410, en baisse de 42 % par rapport à décembre, où l’on a relevé le nombre le plus élevé jamais enregistré. Un nombre semblable de migrants ont été interpellés en février, selon des chiffres officieux.

Un des facteurs de cette baisse : la mise en place d’un système de « libération conditionnelle » permettant à 30 000 ressortissants de quatre pays – Venezuela, Haïti, Cuba et Nicaragua – de venir chaque mois aux États-Unis pour une période de deux ans et de recevoir une autorisation de travail, à condition d’être parrainés et de ne pas avoir traversé la frontière illégalement. Les procureurs généraux de plusieurs États républicains se promettent de contester la légalité de ce système.

L’administration Biden a également lancé en janvier l’application mobile CBP One. Les migrants doivent s’en servir pour lancer une demande d’asile ou d’exemption au « Title 42 » et prendre un rendez-vous à un point d’entrée. Comme on peut s’en douter, l’appli est loin de fonctionner à coup sûr.

Cela fait-il de Joe Biden un autre Donald Trump en matière d’immigration illégale ? Le président démocrate rejette évidemment la comparaison. Mais Justin Trudeau ne verra peut-être pas la différence.