D’ex-soldats américains qui avaient uni leurs efforts il y a un an pour créer une organisation offrant une formation militaire aux soldats ukrainiens nouvellement recrutés avant leur envoi au front contre les troupes russes s’entredéchirent devant les tribunaux.

Le différend entre les membres fondateurs du groupe Mozart place sous les projecteurs le rôle d’acteurs privés qui soutiennent Kyiv sur le terrain, alors que les États-Unis et leurs alliés européens se gardent de déployer des soldats là-bas pour éviter l’escalade avec Moscou.

Bien que le nom du groupe ait été choisi pour faire ironiquement écho à celui du groupe Wagner, qui regroupe des milliers de mercenaires livrant bataille en Ukraine pour la Russie, son action se veut en principe complètement différente.

L’un des fondateurs du groupe Mozart, Andrew Milburn, colonel américain à la retraite, a indiqué dans plusieurs entrevues accordées avec des médias internationaux depuis un an que les membres de l’organisation ne sont pas armés et ne participent pas aux combats.

PHOTO ANDREW MILBURN, GROUPE MOZART

Andrew Milburn, colonel américain à la retraite, en Ukraine

Son site internet précise que les anciens militaires recrutés participent à la formation de soldats ukrainiens, notamment pour le maniement des armes, et organisent l’évacuation de civils ukrainiens pris dans des zones de combat. Ils offrent par ailleurs des formations médicales visant à favoriser une bonne prise en charge des soldats blessés.

Allégations de détournement de fonds

Dans une entrevue au New York Times, M. Milburn a indiqué en octobre dernier que le groupe Mozart emploie une cinquantaine de personnes et encourt des dépenses mensuelles de près de 175 000 $ US.

L’argent, indique-t-on, provient essentiellement de dons et de la vente de produits étiquetés au nom de l’organisation.

Une part importante du différend au sein du groupe découle de la gestion des fonds recueillis et de leur utilisation.

Andrew Bain, autre ex-militaire américain qui se présente comme le créateur du groupe Mozart, affirme dans une poursuite déposée le 10 janvier aux États-Unis que M. Milburn a créé une société tierce pour détourner des dons destinés à l’organisation.

Il lui reproche par ailleurs d’avoir demandé une rémunération mensuelle de 35 000 $ US pour son travail en Ukraine et d’avoir fait embaucher une employée avec qui il entretenait une relation à un salaire quatre fois supérieur à celui qui était raisonnable.

Prêt à changer d’organisme

M. Milburn a indiqué mardi dans un échange sur Twitter que les allégations contenues dans la poursuite étaient « absurdes » et seraient vigoureusement contestées en cour.

Il a affirmé par ailleurs que la plupart des membres de l’organisation avaient « voté avec leurs pieds » en se ralliant à lui et continueraient activement de soutenir les troupes ukrainiennes et la population, potentiellement sous un autre nom, si nécessaire.

Dans une récente intervention en ligne, M. Milburn avait accusé M. Bain de travailler pour la Russie, un commentaire écrit, dit-il, dans un élan de colère.

M. Bain a indiqué il y a quelques jours au site The Intercept, qui révélait l’existence de la poursuite, que ces propos viendraient alimenter les allégations de diffamation figurant dans la procédure. L’avocat le représentant, Scott Seedall, n’a pas répondu à nos messages.

« L’argent coule à flot »

Eric Denécé, qui chapeaute le Centre français de recherche sur le renseignement, à Paris, relève que « l’argent coule à flot » en Ukraine et entraîne un afflux de sociétés militaires privées américaines.

Un récent rapport du centre évoque la présence d’une demi-douzaine d’entreprises de cette nature qui sont actives notamment dans le domaine de la formation militaire et de la distribution de fournitures dans des zones sensibles.

Un afflux similaire avait été observé en Irak et en Afghanistan, note M. Denécé, qui précise n’avoir aucune indication voulant que les membres du groupe Mozart soient activement engagés dans les combats.

Des propagandistes prorusses accusent ses membres d’être des mercenaires à la solde des États-Unis tout en passant sous silence les actions du groupe Wagner, qui se targue ouvertement de jouer un rôle de premier plan dans les combats, notamment dans le Donbass.

Mark Kersten, criminologue rattaché à l’Université de Fraser Valley, en Colombie-Britannique, indique que les conventions de Genève prévoient qu’un ressortissant étranger soutenant une des parties dans un conflit ne peut être considéré légalement comme un mercenaire s’il ne participe pas directement aux combats.

Il faut par ailleurs démontrer, pour justifier une telle étiquette, que le mercenaire est motivé par l’appât du gain et qu’il s’est vu promettre une rémunération sensiblement plus élevée que celle à laquelle il aurait droit pour des fonctions équivalentes dans l’armée qu’il soutient, note M. Kersten.

À la lumière de leurs activités connues, les membres du groupe Mozart ne semblent pas correspondre à la définition juridique du mercenaire, explique le professeur, qui juge mal avisé le choix du nom de l’organisation.

« Si on ne veut pas sembler être un mercenaire, mieux vaut éviter d’adopter un nom qui fait référence à une organisation connue de mercenaires [comme le groupe Wagner] », conclut-il.