(Washington) La Cour suprême des États-Unis a affiché ses divisions mercredi dans une affaire de droit électoral qui pourrait révolutionner l’organisation des scrutins pour la Maison-Blanche et le Congrès.

Au cœur des débats : une nouvelle théorie légale proposée par les parlementaires républicains de Caroline du Nord qui, si elle était adoptée, donnerait les coudées franches aux législateurs des 50 États pour organiser les élections fédérales.

Vote par correspondance, horaires d’ouverture des bureaux, documents à présenter pour s’inscrire sur les listes électorales… : la Constitution confie aux élus de chaque État la tâche de fixer « l’époque, le lieu et la procédure » des scrutins.

Leurs lois sont toutefois soumises au contrôle des tribunaux locaux. C’est ce que les élus de Caroline du Nord veulent changer. Pour eux, la Constitution « place la régulation des élections fédérales entre les mains des parlementaires des États et de personne d’autre » à ce niveau.

Lors de l’audience, les trois magistrates progressistes de la Cour se sont vivement opposées à cette doctrine dite « des législateurs d’État indépendants ». Elle vise à « se débarrasser de l’équilibre des pouvoirs » au moment où les États-Unis « en ont le plus besoin », a notamment mis en garde Elena Kagan.

La démocratie américaine a été fragilisée par les efforts de l’ancien président Donald Trump, soutenus par certains élus locaux, pour faire invalider sa défaite à l’élection de 2020.

Les positions des six juges conservateurs semblent moins claires.  

Veto du gouverneur

Certains ont semblé enclins à valider la nouvelle théorie. Balayant les inquiétudes pour la démocratie, Neil Gorsuch a ainsi noté que les lois votées par les élus locaux resteraient soumises à l’examen des tribunaux fédéraux.  

Mais d’autres ont paru plus sceptiques. Le chef de la Cour John Roberts a ainsi noté les fluctuations dans la position des élus de Caroline du Nord qui, au début de la procédure, soutenaient que les gouverneurs ne pouvaient pas exercer de veto sur les lois électorales, avant de changer d’avis.

Le juge conservateur Brett Kavanaugh a paru pour sa part chercher les moyens de donner raison aux élus sans valider leur doctrine. « N’y a-t-il pas une alternative plus limitée pour trancher en votre faveur ? », a-t-il demandé à leur avocat.

Concrètement, leur recours découle du recensement de 2020 qui a enregistré une hausse de la population en Caroline du Nord. En conséquence, l’État a gagné un siège supplémentaire à la Chambre des représentants et ses parlementaires ont redessiné les contours des circonscriptions.

En février, leur carte a été invalidée par la Cour suprême de l’État, qui a jugé qu’elle favorisait le parti républicain en regroupant les électeurs démocrates dans certaines circonscriptions pour diluer leur vote ailleurs. Une seconde carte n’ayant pas semblé plus équitable, la haute juridiction locale a nommé un expert indépendant pour s’en charger.  

Les législateurs locaux, menés par le chef républicain de la Chambre Tim Moore, se sont alors tournés vers la Cour suprême des États-Unis, en reprochant au pouvoir judiciaire de l’État d’avoir usurpé leur rôle.

La haute juridiction a refusé d’intervenir en urgence et la carte de l’expert a bien servi aux élections de mi-mandat, en novembre, permettant d’élire sept représentants de chaque parti. Mais, alors qu’elle n’y était pas obligée, elle a accepté d’examiner la question de fond.

« Absurde »

Avant l’audience, le gouvernement du président Joe Biden, des sénateurs et des États démocrates et toutes les grandes associations de défense des droits civiques (ACLU, NAACP, ADL, HRW) ont écrit à la cour pour la dissuader d’adopter la nouvelle théorie, jugée dangereuse pour la démocratie.

« Cette interprétation extrémiste de la Constitution aiderait les élus locaux à priver certains électeurs du droit de vote, à découper les circonscriptions à leur guise et, potentiellement, à saboter le résultat des élections », a expliqué à la presse Sophia Lin Lakin de l’ACLU.

Le parti républicain a jugé « absurde » leur discours alarmiste. Donner raison aux élus de Caroline du Nord « ne donnera pas carte blanche aux législatures des États », a-t-il plaidé dans un argumentaire distinct.

Mais dans les rangs conservateurs, la théorie ne fait pas l’unanimité. « Notre système politique souffrirait grandement si le charcutage des circonscriptions électorales était laissé hors de contrôle », a notamment estimé l’ancien gouverneur républicain de Californie Arnold Schwarzenegger.

La cour doit rendre sa décision avant le 30 juin.