(New York) Jamais une recrue du Congrès américain n’avait été mise au ban aussi rapidement.

Un mois après avoir prêté serment, Marjorie Taylor Greene se voyait expulsée des deux commissions au sein desquelles elle siégeait par l’ensemble des démocrates de la Chambre des représentants et 11 de ses collègues républicains, dont Liz Cheney.

Lui étaient reprochés des appels à la violence contre Nancy Pelosi et des propos antisémites sur les réseaux sociaux remontant à 2018 et 2019. Elle avait notamment aimé sur Facebook un message proposant d’en finir avec la présidente de la Chambre avec « une balle dans la tête ».

Et elle avait attribué la responsabilité d’un incendie de forêt en Californie à une cabale impliquant les Rothschild, cibles de prédilection des antisémites, et des scientifiques équipés de « lasers ou de faisceaux lumineux bleus » jaillissant de l’espace.

Sans compter son adhésion aux thèses complotistes du mouvement QAnon sur l’existence d’un réseau mondial de pédophiles satanistes auquel Donald Trump allait s’attaquer.

Or, près de deux ans plus tard, la représentante de Géorgie est sur le point de prendre sa revanche. Non seulement contre ceux qui l’ont punie en février 2021, mais également contre les républicains qui ne l’ont pas défendue assez vigoureusement à son goût ou qui avaient refusé d’appuyer sa candidature en 2020.

Cette revanche se concrétisera au début du 118e Congrès lorsque, selon toute probabilité, le nouveau président de la Chambre, le républicain Kevin McCarthy, distribuera les rôles au sein de son groupe.

De paria, Marjorie Taylor Greene deviendra alors une figure de grande influence au sein de la Chambre des représentants.

Et Liz Cheney n’y sera plus.

Le retour en force de Marjorie Taylor Greene en dira long sur la politique au temps de Donald Trump, des réseaux sociaux et des médias MAGA.

Car la mise au ban de l’élue de 48 ans n’a pas entamé sa popularité au sein de la base électorale de l’ancien président, dont elle est une partisane farouche et une émule enthousiaste. Au contraire, elle l’a dopée, comme en a fait foi sa récolte de dons électoraux lors du premier trimestre de 2021 : 3,2 millions de dollars.

Du jamais-vu pour une recrue de la Chambre qui, de surcroît, venait d’être dépouillée de toute influence sur l’élaboration des lois.

Mais Marjorie Taylor Greene a continué à propager ses attaques outrancières ou mensongères sur les réseaux sociaux, de même que sur les médias pro-Trump, dont la chaîne Newsmax et la balado War Room animée par Steve Bannon. Elle s’est vu retirer en permanence son compte Twitter personnel après avoir comparé le port du masque obligatoire au traitement des juifs par l’Allemagne nazie. Mais elle continue à jouir d’un vaste auditoire grâce à son compte Twitter officiel.

Des cibles claires

Durant la campagne pour les élections de mi-mandat, sa popularité lui a valu d’être courtisée par plusieurs candidats désireux d’obtenir son appui. C’est notamment le cas de Kari Lake, qui brigue le poste de gouverneur d’Arizona, et de J. D. Vance, qui veut représenter l’Ohio au Sénat.

PHOTO ERIN SCOTT, ARCHIVES REUTERS

Marjorie Taylor Greene portant un couvre-visage avec le message « Trump won » (Trump a gagné) lors de la prestation de serment du 117e Congrès des États-Unis, le 3 janvier 2021

Greene a également participé à plusieurs réunions électorales qui mettaient en vedette Donald Trump. Ce dernier est un admirateur de la première heure de la représentante de Géorgie. Il a même discuté avec elle de la possibilité d’un ticket Trump-Greene en 2024, selon le journaliste Robert Draper, auteur d’un nouveau livre intitulé Weapons of Mass Delusion.

« Je serais très honorée », a confié Greene à Draper, en ajoutant qu’un tel ticket serait probablement trop combustible aux yeux des bonzes du Parti républicain.

Draper consacre une bonne partie de son livre à l’histoire de Greene, une femme d’affaires qui a géré avec son mari une entreprise de construction prospère près d’Atlanta avant de se lancer en politique, en 2019. Elle a expliqué au journaliste que son adhésion passée aux thèses de QAnon était la conséquence des mensonges que les médias traditionnels ont servis aux Américains concernant la « collusion » entre Donald Trump et la Russie pendant la campagne présidentielle de 2016. En cherchant la vérité, elle s’est perdue dans les méandres de QAnon, a-t-elle dit.

Si elle rejette aujourd’hui les thèses du mouvement complotiste, elle continue en revanche à tenir des propos provocateurs, extrémistes ou violents.

« Je ne vais pas mâcher mes mots avec vous tous. Les démocrates veulent la mort des républicains et ils ont déjà commencé les tueries », a-t-elle déclaré en octobre au Michigan.

Ces propos ne devraient pas l’empêcher d’obtenir en janvier 2023 ce qu’elle croit avoir mérité, à savoir un siège au sein de la commission judiciaire de la Chambre et un autre au sein de la commission de surveillance et de réforme. Son rôle éventuel dans ces deux commissions lui permettrait de participer aux enquêtes les plus importantes menées par le Congrès américain.

Et ses cibles ne sont pas les moindres. Elle veut notamment lancer des procédures de destitution contre Joe Biden et le procureur général des États-Unis, Merrick Garland. Et elle ne croit pas que Kevin McCarthy osera s’opposer à ces initiatives réclamées par la base MAGA du Parti républicain.

Elle n’a pas l’intention de s’arrêter là. Elle promet également de se battre en faveur de l’adoption de projets de loi pour suspendre toute immigration, légale ou illégale, pendant quatre ans, interdire l’avortement à l’échelle nationale, renverser les règles pour lutter contre le réchauffement climatique et criminaliser tout traitement offert aux personnes qui veulent changer de sexe.

Viendra sans doute un moment où Kevin McCarthy sentira le besoin de lui dire non. Mais osera-t-il le faire ?