(New York) « J’aime être avec elle. Elle est comme mon psychiatre. »

Donald Trump a lancé cette remarque à des conseillers au milieu d’une des trois entrevues qu’il a accordées à la journaliste du New York Times Maggie Haberman pour son livre très attendu, Confidence Man : The Making of Donald Trump and the Breaking of America.

Dans cet ouvrage de 600 pages sorti mardi dernier et précédé par les extraits les plus sensationnels dans les médias, la reine des scoops de l’ère Trump désamorce aussitôt le compliment à double tranchant de l’ancien président.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Confidence Man – The Making of Donald Trump and the Breaking of America

« La réalité est qu’il traite tous ses interlocuteurs comme s’il s’agissait de ses psychiatres », écrit celle qui a remporté en 2018 un prix Pulitzer, récompense suprême du journalisme américain.

Mais il n’y a qu’une Maggie Haberman, surnommée « Dre Maggie » par un de ses anciens patrons en raison de son don unique d’attirer les confidences des membres parfois traumatisés de l’entourage de Donald Trump.

Don qui a phénoménalement servi le New York Times : en 2016, ce journal a publié 599 articles portant la signature de Maggie Haberman, seule ou avec celles d’autres journalistes.

Au fil des ans, on doit à cette New-Yorkaise âgée de 48 ans, mariée et mère de trois enfants, des images indélébiles : Donald Trump passant ses soirées en robe de chambre à regarder les chaînes de nouvelles câblées ; Donald Trump se réfugiant dans le bunker de la Maison-Blanche pendant des manifestations antiracistes à Washington ; Donald Trump jetant aux toilettes des documents officiels.

Éloges et critiques

Nombre de ses collègues lui vouent une admiration sans bornes. Mais elle a aussi des critiques, qui lui reprochent une certaine complaisance à l’égard de Trump et de son entourage, ou une myopie l’empêchant de donner un sens plus large à ses exclusivités.

PHOTO LA MAISON-BLANCHE, TIRÉE DU SITE DE CNN

Maggie Haberman et Donald Trump, date inconnue

Son livre n’est pas une réponse à ses critiques, mais il contient bien plus que des scoops sur Jared Kushner et Ivanka Trump, qui ont failli être virés par Donald Trump par l’entremise de Twitter, ou sur les « labos de drogue » que l’ancien président a envisagé de bombarder au Mexique.

Dans la première moitié de l’ouvrage, Maggie Haberman présente aux historiens les pistes permettant de comprendre jusqu’à quel point Donald Trump a été façonné par le New York des années 1970 et 1980, par sa corruption, sa dysfonction, son racisme, ses personnages et ses tabloïds.

Maggie Haberman est bien équipée pour raconter cette histoire. Elle est née à Manhattan, de parents qui se sont rencontrés dans la salle de rédaction du New York Post. Son père, Clyde Haberman, a mené une longue et brillante carrière au New York Times. Sa mère, Nancy Haberman, travaille depuis des décennies pour le cabinet de relations publiques Rubenstein, qui a représenté les Trump et les Kushner.

Maggie Haberman a elle-même fait ses débuts dans le journalisme en travaillant pour les deux principaux tabloïds de New York, le Post et le Daily News.

Qui a influencé Trump ?

Dans une des scènes marquantes de son livre, elle décrit la deuxième rencontre entre l’ancien avocat de Donald Trump, Roy Cohn, bras droit du sénateur Joseph McCarthy durant la « chasse aux sorcières » contre les communistes, et Roger Stone, personnage tout aussi sulfureux mais beaucoup plus jeune, qui allait devenir le mentor politique du futur président.

« Assis au bout d’une longue table, le torse nu sous une robe de chambre en soie, Cohn picore son repas avec ses doigts. Il présente l’homme assis à sa gauche, l’identifiant comme “Fat Tony” Salerno », écrit Haberman en faisant référence à l’ancien chef de la famille mafieuse des Genovese.

Peu après les présentations, Cohn mentionne à Stone le nom d’un autre de ses clients, qui pourrait l’aider à trouver un local pour le quartier général de la campagne présidentielle de Ronald Reagan à New York : Donald Trump.

Roy Cohn, dont Trump a souvent déploré l’absence après son élection à la Maison-Blanche, comme le rappelle Haberman, est décédé du sida en 1986, après avoir passé sa vie dans le placard. Stone, lui, fait toujours partie de l’entourage de Trump, comme un autre New-Yorkais de l’époque, Rudolph Giuliani.

D’autres personnages tout droit sortis d’un roman de Tom Wolfe ont influencé Donald Trump, soutient Haberman. George Steinbrenner, ex-propriétaire des Yankees, en est un, qui a légué à Trump une certaine conception de la masculinité, en congédiant notamment ses gérants à tout bout de champ. C’est en pensant à lui que le promoteur immobilier a trouvé la phrase qui allait contribuer au succès de l’émission de télé-réalité The Apprentice : « You’re fired! »

Trump a aussi emprunté à l’ancien maire de New York Ed Koch, grande gueule devant l’Éternel, sa manie de lancer des épithètes à la tête de ses adversaires, y compris « lightweight » (poids léger), qu’il a adoptée après l’avoir lui-même essuyée.

Haberman y va d’un autre rapprochement audacieux : à l’instar du pasteur noir Al Sharpton, dont il est « l’image miroir » sous plusieurs aspects, selon elle, Donald Trump a refusé de s’effacer après des scandales mettant en cause son honnêteté ou sa décence.

Les tabloïds de New York l’ont aidé en le convainquant que le public avait un appétit insatiable pour les histoires le concernant, que ce soit ses divorces, ses faillites ou ses « retours ».

Les divisions ethniques de New York lui ont aussi inspiré une idée dont il ne s’est jamais départi, selon Haberman : « La haine devrait être un bien civique. »

« Je veux haïr ces meurtriers », a écrit Trump en 1989, réclamant le retour de la peine de mort dans l’État de New York dans une publicité pleine plage publiée dans les journaux locaux après l’agression d’une joggeuse blanche à Central Park.

« La dynamique qui a défini la ville de New York dans les années 1980 est restée avec Trump pendant des décennies », écrit Haberman.

« Il semble souvent figé dans le temps. » Le diagnostic de la « Dre Maggie » semble le bon.