(New York) En tant qu’ancienne procureure des États-Unis au Michigan, Barbara McQuade connaît bien les rouages de la justice américaine, et notamment le département qui sera appelé à inculper ou non Donald Trump pour son rôle dans ce que la commission du 6-Janvier a qualifié de « tentative de coup d’État ». La Presse s’est entretenue avec celle qui est aujourd’hui professeure de droit à l’Université du Michigan, pour recueillir ses impressions sur les premières auditions de la Commission.

Q : Les membres de la commission du 6-Janvier semblent déterminés à convaincre le département de la Justice américain de déposer des accusations criminelles contre Donald Trump. Comment s’en tirent-ils ?

R : Ils n’ont pas encore terminé, bien sûr, mais jusqu’à présent, je pense qu’ils ont présenté un dossier convaincant. Évidemment, lorsque vous poursuivez une affaire criminelle, elle doit être prouvée au-delà de tout doute raisonnable devant un jury unanime. C’est un fardeau plus lourd.

Cependant, je pense qu’ils ont fait un excellent travail en présentant des preuves de l’intention criminelle de Donald Trump, c’est-à-dire qu’il savait que ce qu’il disait était un mensonge. Il savait qu’il avait perdu l’élection, mais il a persisté à dire aux gens que l’élection avait été volée. J’ai trouvé que l’audition de lundi dernier avait fait un excellent travail en montrant des conseillers loyaux et dignes de confiance qui lui ont dit qu’il avait perdu l’élection. Ce que [l’ancien procureur général des États-Unis] William Barr avait à dire était plus exhaustif et dévastateur que ce à quoi je m’attendais.

Q : Quels sont les chefs d’accusation qui pourraient être retenus contre Trump ?

R : Je pense qu’il y a trois possibilités. Le premier chef d’accusation reprocherait à Trump d’avoir participé à un complot visant à entraver une procédure officielle, en l’occurrence la certification de l’élection présidentielle de 2020 par le Congrès, le 6 janvier 2021.

La façon la plus simple de prouver cette accusation est l’effort pour convaincre Mike Pence de ne pas certifier l’élection. Trump a exercé des pressions auprès du vice-président pour qu’il refuse d’accomplir le travail qu’il était censé faire en vertu de la loi et de la Constitution. Et il a fondé sa demande sur un mensonge.

Cela suffirait à montrer que son état d’esprit était corrompu et fautif et qu’il a fait quelque chose pour tenter d’empêcher le fonctionnement légal du gouvernement. Trump pourrait aussi être accusé de complot en vue de frauder le gouvernement des États-Unis.

Q : Qu’est-ce que c’est ?

R : C’est une accusation qui pourrait être fondée sur les mêmes preuves que la première. Trump a fait pression sur Pence afin qu’il refuse de certifier l’élection en sachant qu’il le faisait sur la base d’un mensonge.

Mais cela pourrait aussi englober un comportement plus large, comme demander aux États de soumettre des listes alternatives de grands électeurs sur la base d’un mensonge, essayer de persuader le public américain que les machines à voter de la société Dominion faisaient basculer des votes de Trump vers Biden, exercer des pressions sur [le secrétaire d’État de la Géorgie] Brad Raffensperger pour qu’il « trouve » 11 780 votes.

Enfin, Trump pourrait également être inculpé pour complot séditieux, ce dont ont déjà été accusés des membres des Proud Boys et des Oath Keepers. Il faudrait prouver que Trump s’est mis d’accord avec au moins une autre personne pour utiliser la force afin d’empêcher la certification des votes le 6 janvier 2021. Jusqu’à maintenant, je ne pense pas que nous ayons de preuves montrant que Trump était lié à ces groupes, mais ça pourrait venir.

Q : Croyez-vous que l’inculpation de Donald Trump soit souhaitable ?

R : C’est une décision très difficile. D’un côté, cela créerait un précédent dangereux. Voulons-nous être le genre de pays où chaque président envisage d’engager des poursuites pénales contre son prédécesseur ?

D’un autre côté, s’ils ont suffisamment de preuves pour démontrer que Donald Trump a essayé de subvertir notre démocratie, je pense que c’est tellement grave que cela ne peut pas rester sans réponse.

Il me semble que lorsque vous mettez ces deux choses sur une balance, vous ne pouvez tout simplement pas ignorer le comportement néfaste. L’une des raisons pour lesquelles nous poursuivons les criminels est de décourager ce comportement. Et je pense que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour tenir les gens responsables afin de décourager ce comportement à l’avenir.

Q : Avez-vous des raisons de douter que le procureur général des États-Unis, Merrick Garland, a ce qu’il faut pour prendre la bonne décision ?

R : Je n’ai aucune raison d’en douter. En fait, je pense qu’il se comporte bien, car s’il dépose des accusations criminelles, ce sera d’autant plus dévastateur qu’il aura suivi les règles, qu’il se sera maintenu au-dessus de la mêlée et qu’il n’aura pas fait de commentaires publics jusqu’à ce que les accusations soient déposées.

Un témoin très attendu

Le 2 janvier 2021, Donald Trump a appelé le secrétaire d’État de la Géorgie, Brad Raffensperger, responsable de l’organisation des élections dans cet État, pour lui demander de lui « trouver 11 780 voix », soit un nombre suffisant pour battre Joe Biden dans le Peach State.

Raffensperger n’a pas seulement résisté à la pression du président, il a enregistré la conversation. Et il témoignera mardi devant la commission du 6-Janvier sur cet appel qui a déjà incité la procureure du comté de Fulton, en Géorgie, à ouvrir une enquête criminelle sur Trump et des membres de son entourage.

Raffensperger sera accompagné de son bras droit, Gabriel Sterling, qui a également fait l’objet de pressions et de menaces formulées par des alliés et partisans de l’ancien président après l’élection présidentielle de 2020.

Agence France-Presse

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