(Washington) Explosions enflammées, innocents tombant du ciel, vœux présidentiels de vengeance : les 20 années de guerre contre le terrorisme par les États-Unis semblent se terminer comme elles ont commencé.

Les parallèles qui marquent la fin des deux décennies – des commandants en chef ébranlés promettant des représailles pour un attentat suicide dévastateur ; des militants talibans triomphants en Afghanistan et la fuite de Kaboul par transport militaire – pourraient laisser croire que peu de choses ont changé.

Mais bien sûr, depuis le 11 septembre, pratiquement tout a changé.

La tour sud du World Trade Center venait de s’effondrer, une fumée noire et âcre s’échappait du Pentagone, le vol 93 de United Airlines était sur une trajectoire de collision avec la capitale américaine et le téléphone de Michael Kergin sonnait.

C’était Jean Chrétien, qui appelait pour voir comment allaient son ambassadeur aux États-Unis et plus de 300 personnes paniquées qui étaient toujours enfermées à l’intérieur de l’ambassade du Canada à Washington, à une courte distance d’une colline du Capitole évacuée.

« Il a dit : « Le monde ne sera plus jamais le même » », s’est rappelé M. Kergin en entrevue. « C’était un commentaire assez prémonitoire, dit aussi tôt. »

Cependant, même la boule de cristal du premier ministre n’aurait pas pu prédire le destin de l’Amérique dans les 20 années suivantes.

Une nation unie dans la fureur a oublié, même brièvement, les fissures sociales et politiques apparentes à la suite de l’élection présidentielle de 2000, dont l’impasse avait dû être résolue par la Cour suprême. Aujourd’hui, les Américains se retrouvent de part et d’autre d’un gouffre politique qui ne cesse de s’élargir.

En 2001, ils s’étaient ralliés à Rudy Giuliani, le baptisant le « maire de l’Amérique » pour son sang-froid au lendemain des attentats. En 2021, le plaideur autrefois légendaire est devenu une risée, du moins dans les cercles libéraux-démocrates.

Et après deux mandats de Barack Obama, le premier président noir du pays, la droite a embrassé un magnat de l’immobilier new-yorkais dont le nationalisme et l’intolérance sans vergogne ont permis aux instincts les plus bas de faire tomber les valeurs américaines traditionnelles de leur piédestal.

La fin de la guerre froide au début des années 1990 a alimenté une décennie de confiance américaine qui s’est effondrée le 11 septembre, a déclaré Roy Norton, diplomate de carrière, qui était responsable des relations internationales pour le gouvernement de l’Ontario en 2001.

« C’était l’aube d’une nouvelle réalité qui n’allait peut-être pas durer éternellement, cette période d’hégémonie inégalée », a indiqué M. Norton.

« Étonnamment, il n’a pas fallu le Japon, l’Allemagne ou la Russie pour perturber le nouvel équilibre. Il a fallu un type dans un coin de l’Afghanistan. »

Spencer Ackerman, journaliste spécialisé dans la sécurité nationale et contributeur au « Daily Beast », a déclaré que l’instabilité, la peur et le vitriol nationaliste qui ont suivi ont conduit directement à la montée du président le plus controversé et conflictuel des États-Unis.

Tout s’est passé sous le couvert d’un « voile patriotique de vengeance juste », affirme M. Ackerman dans son récent livre, « Reign of Terror : How the 9/11 Era Destabilized America and Produced Trump ».

« Les forces que les États-Unis déchaînent après le 11 septembre […] représentent essentiellement une porte vers les courants les plus violents, les plus injustes et les plus nativistes de l’histoire américaine », a-t-il aussi déclaré à un panel du Cato Institute, le mois dernier.

Secouée au plus profond d’elle-même par la capacité d’un ennemi mal défini et mal équipé à mettre à genoux la nation la plus puissante du monde, a-t-il déclaré, une faction croissante de la droite politique américaine a commencé à chercher de plus en plus loin des réponses.

« Ils se sont tournés vers des explications qui ont beaucoup plus à voir avec la subversion interne et la trahison interne de ce que l’Amérique est censée être, pas seulement censée faire », a avancé M. Ackerman.

« C’est ainsi que quelqu’un comme Donald Trump descend l’escalier roulant doré de la Trump Tower… Ça devient un moyen d’utiliser la guerre contre le terrorisme contre des ennemis à l’intérieur des États-Unis, contre lesquels un véritable jugement doit avoir lieu. »

Les différences sont devenues plus évidentes pendant la pandémie de COVID-19, a noté Jeh Johnson, qui était secrétaire à la Sécurité intérieure pendant le deuxième mandat de Barack Obama.

« Les principales menaces pour notre sécurité, à mon avis, sont le réchauffement climatique, la cybersécurité, la menace du terrorisme et, franchement, un gouvernement partisan et divisé incapable de répondre à ces menaces », a déclaré M. Johnson lors d’une récente table ronde organisée par le groupe de réflexion Bipartisan Policy Center, basé à Washington.

Il a décrit comment, dans les heures et les jours qui ont suivi le 11 septembre, des drapeaux américains et des expressions manuscrites de patriotisme sont apparus sur chaque viaduc d’autoroute. Le pays s’est rallié à l’idée d’envahir l’Afghanistan et plusieurs Américains ont sauté sur l’occasion de joindre l’armée.

Comparez cela à la réponse partisane et conflictuelle à la pandémie de COVID-19 et il est difficile de ne pas se demander comment les États-Unis géreraient une crise similaire, a-t-il déclaré.

« Je crains que s’il y avait une autre attaque terroriste à grande échelle contre notre nation, notre gouvernement serait incapable de répondre efficacement, d’une manière qui nécessite beaucoup de bipartisme de la part de notre Congrès et de notre pouvoir exécutif. »

Sarah Kreps, professeure de droit et de gouvernement à l’Université Cornell, était officière de zone étrangère dans l’US Air Force le jour où les tours sont tombées – un cataclysme qui a brisé le sentiment mondial de sécurité de l’après-guerre froide.

Mais Mme Kreps pense que même si l’appétit des États-Unis pour une intervention militaire à long terme est au plus bas, les conséquences probables du retrait américain d’Afghanistan pourraient changer cela.

« Je pense que ce que nous voyons […] c’est l’autonomisation et l’élévation de ces voix dans la politique étrangère qui ont été relativement marginales ces dernières années «, a-t-elle déclaré en entrevue.

« La sécurité internationale, la sécurité régionale ont en fait besoin de cette présence plus musclée, maintenant que les États-Unis ont en quelque sorte laissé ce vide. »

D’autres sont également optimistes quant à l’avenir politique du pays.

Les anciens chefs de la majorité au Sénat, Trent Lott et Tom Daschle, estiment qu’un respect mutuel les a aidés à diriger leurs partis respectifs à travers une chambre également, mais amèrement, divisée en 2001.

« Sans une bonne relation, il ne peut y avoir de confiance. Sans confiance, il ne peut y avoir de négociation. Sans négociation, il ne peut y avoir de progrès », a déclaré M. Daschle, un démocrate, au panel du BPC.

« Mon message est que cela aussi passera », a ajouté M. Lott, son homologue républicain.

« Il va y avoir des hommes et des femmes qui vont intervenir dans ce gouvernement et au Congrès et dire : » Nous allons faire ce travail. « J’espère que ce sera bientôt. »