(New York) Quatre mois après le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche, le risque d’une inculpation se précise pour l’ex-président américain et ses proches qui dirigent la Trump Organization : la procureure de l’État de New York a confirmé mardi soir travailler main dans la main avec le procureur de Manhattan sur de possibles fraudes liées à ses affaires.

Jusqu’ici, la procureure Letitia James, une élue démocrate, avait simplement confirmé enquêter au civil – donc sans risque d’inculpation ni d’emprisonnement en cas de condamnation – sur de possibles fraudes fiscales ou bancaires au sein de la holding familiale de l’ex-président républicain qui, à 74 ans, entretient l’ambiguïté sur la possibilité de se représenter à la présidentielle 2024.  

Donald Trump et son entreprise, non cotée en bourse et donc non tenue de communiquer sur ses comptes, sont soupçonnés d’avoir artificiellement gonflé ou réduit la valeur de certaines de leurs propriétés pour obtenir des prêts bancaires ou réduire leurs impôts. Un domaine de 90 hectares au nord de l’État de New York, son club de golf du New Jersey ou même son emblématique Trump Tower, à Manhattan, seraient notamment sous la loupe des enquêteurs.

Mardi soir, Letitia James a indiqué via un porte-parole « avoir informé la Trump Organization » qu’elle enquêtait désormais « activement » sur cette dernière « au pénal, avec le procureur de Manhattan », Cyrus Vance, lui aussi élu démocrate.

Celui-ci enquête depuis des mois sur ce dossier, au pénal également, et a fait le premier planer la menace d’une inculpation qui serait sans précédent pour un ex-président américain.

M. Vance, qui quittera son poste à la fin de l’année, a obtenu fin février, après une longue bataille judiciaire qui est allée jusqu’à la Cour suprême américaine, huit ans d’archives comptables et financières de Donald Trump. Un coup de tonnerre, déjà, pour l’ex-magnat de l’immobilier qui avait toujours refusé de publier ses déclarations d’impôts.

Pour Bennett Gershman, professeur de droit pénal à l’université Pace et ex-procureur adjoint de Manhattan, la déclaration de Letitia James équivaut à « une démonstration de force » des procureurs.

« Cela veut dire qu’ils sont très sérieux, qu’ils avancent vite, […] qu’il n’est pas question de reculer », a-t-il indiqué à l’AFP. « En voyant une telle annonce, je dirais qu’on s’approche d’une inculpation. »

Obtenir la coopération de témoins clés

Pour M. Gershman comme pour d’autres observateurs, cette déclaration pourrait aussi viser à augmenter la pression sur quelques témoins clés, fins connaisseurs des affaires Trump, que les procureurs cherchent à convaincre de collaborer avec eux.

A commencer par Allen Weisselberg, 73 ans, directeur financier de la Trump Organization, fidèle parmi les fidèles des Trump puisqu’il a commencé à travailler pour le père de Donald Trump.

Ces dernières semaines, les enquêteurs ont montré qu’ils n’hésiteraient pas à fouiller dans les affaires de son fils, Barry Weisselberg, pour obtenir sa coopération.

L’ex-femme de Barry Weisselberg a ainsi été photographiée début avril par des médias, transportant des cartons de documents financiers destinés aux enquêteurs, qui en avaient exigé la remise.

L’ex-président républicain – qui a quitté récemment sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, pour prendre ses quartiers d’été dans son club de golf de Bedminster, à 70 km de New York – a réagi mercredi en qualifiant l’enquête des procureurs new-yorkais de « continuation de la plus grande chasse aux sorcières de l’histoire des États-Unis ».

Dans un long communiqué, il a répété que les procureurs étaient selon lui politiquement motivés, « cherchant désespérément un délit » à lui reprocher.

Sa défense se prépare toutefois elle aussi, d’autant que les avocats du président américain, habitué des tribunaux civils, sont connus pour se battre jusqu’au bout, comme ils l’ont fait pour résister à la remise de ses archives comptables 16 mois durant.

Son principal avocat dans cette affaire, Alan Futerfas, a récemment renforcé son équipe chargée de préparer ce dossier. Il a confirmé début avril avoir notamment recruté Ronald Fischetti, qui a travaillé pendant plusieurs années avec Mark Pomerantz, aujourd’hui à la tête de l’équipe d’enquêteurs chargés du dossier Trump auprès du procureur de Manhattan.

Certains se frottent les mains de voir les procureurs avancer. À commencer par l’ex-avocat personnel de Donald Trump, Michael Cohen, qui finit de purger trois ans de condamnation fin 2018 pour fraude fiscale et violation des lois sur le financement électoral, et collabore avec les enquêteurs contre son ancien patron.

« Bienvenue à la fête d’inculpation de Trump », a-t-il tweeté mercredi matin.

Qui sont les figures-clé de l’enquête new-yorkaise contre Trump ?

Un procureur démocrate en fin de mandat, une autre connue pour sa pugnacité, un fidèle parmi les fidèles des Trump, ou encore un ex-proche de l’ex-président américain décidé à faire couler son ancien patron, Donald Trump : voici quelques protagonistes du dossier judiciaire qui pourrait mener à une inculpation sans précédent d’un ancien président américain.

Cyrus Vance, procureur en quête de postérité

Le procureur de l’État de New York pour Manhattan, 66 ans, élu démocrate en poste depuis 2010, est le premier à avoir ouvert une enquête au pénal contre l’ex-président républicain.

Fils d’un ancien secrétaire d’État américain, il a été parfois accusé de rechigner à poursuivre les puissants – notamment pour avoir tardé à inculper Harvey Weinstein. Mais sur ce dossier Trump, il s’est montré déterminé, d’abord dans la longue bataille pour obtenir les archives comptables et financières de l’ancien magnat de l’immobilier new-yorkais, puis en déployant d’importants moyens humains et matériels sur cette enquête ultra-sensible politiquement.

Il en va de sa réputation pour la postérité : il a déjà annoncé qu’il ne briguerait pas de quatrième mandat à l’expiration de son mandat actuel en décembre. Beaucoup d’observateurs estiment qu’il fera tout pour avoir inculpé l’ancien président avant cette date, avec un dossier aussi solide que possible pour faciliter la tâche de son successeur.

Letitia James, procureure pugnace

La procureure générale de l’État de New York, démocrate également, fut en 2018 la première femme noire à accéder à ce poste.

Depuis, cette procureure de 62 ans s’est forgé une réputation de procureure particulièrement pugnace et indépendante, multipliant les enquêtes aussi bien contre les grandes entreprises – notamment les géants de la tech – que contre l’administration Trump, contre laquelle elle a lancé des dizaines d’actions au civil.

Bien que Donald Trump l’accuse de parti pris contre lui, elle s’est aussi saisie de dossiers compromettants pour le gouverneur démocrate de New York, Andrew Cuomo, affaibli par une série de scandales.

Après avoir livré un rapport percutant sur des accusations de dissimulation du nombre de morts de la pandémie dans les maisons de retraite, elle chapeaute la délicate enquête en cours sur des accusations de harcèlement sexuel visant le gouverneur. Selon la gravité des conclusions de cette enquête, il pourrait être obligé de démissionner.

Allen Weisselberg, fidèle parmi les fidèles de Trump

A 73 ans, ce comptable discret est le plus fidèle des collaborateurs de la holding familiale qu’est la Trump Organization. Il débuta comme comptable dans l’entreprise de Frederick Trump, le père de Donald, avant de rejoindre la Trump Organization comme contrôleur de gestion quand Donald Trump s’est implanté à Manhattan dans les années 1980.

Il a été de toutes les aventures entrepreneuriales de Donald Trump, y compris lorsque le magnat s’est trouvé en difficulté vis-à-vis de ses casinos d’Atlantic City. Selon Barbara Res, une ex-vice présidente de la Trump Organization citée récemment par le Daily News, il « pensait que Trump était un Dieu ».

Aujourd’hui, tout le monde se demande s’il va se retourner contre son patron. Les enquêteurs mettent la pression sur lui depuis des mois, n’hésitant pas à viser aussi sa famille – notamment son fils Barry Weisselberg – pour convaincre cet homme réputé connaître tous les secrets de la Trump Organization de collaborer avec eux.

Michael Cohen, la soif de revanche

L’ex-avocat personnel de Trump, 54 ans, fut le premier des proches de Donald Trump épinglé par la justice, qui l’a condamné fin 2018 à trois ans de prison pour fraude fiscale et violation des lois sur le financement des campagnes électorales.

Mais il fut aussi le premier de ses fidèles – il a travaillé 10 ans durant comme homme de confiance du magnat, se disant prêt à « prendre une balle pour son patron » – à retourner sa veste et à collaborer avec les enquêteurs. Il a encore été interrogé plusieurs fois ces dernières semaines par l’équipe de Cyrus Vance.

En février 2019, entendu par une commission parlementaire, il avait accusé Donald Trump tous azimuts, affirmant entre autres que le milliardaire sous-ou sur-évaluait régulièrement ses actifs, tant auprès des banques que des compagnies d’assurances que pour remonter aux classements annuels des personnes les plus riches, établis par des organismes comme Forbes.

Très actif sur Twitter ou via son podcast « Mea Culpa », il se réjouit fréquemment des tracas judiciaires de son ancien patron et de sa possible prochaine inculpation.