À l’approche de l’élection présidentielle, notre chroniqueur est parti faire un tour dans le sud-ouest des États-Unis

(Westmorland, Californie) C’est la saison des semences, et Gerry n’a pas tellement le temps de jaser. Il travaille pour la société d’irrigation de la vallée. Ça veut dire ouvrir et fermer des valves jour et nuit.

« Toute l’eau que tu vois vient du fleuve Colorado, c’est la seule source d’eau ici. »

On n’en voit pas beaucoup, vu que c’est le désert. Mais en creusant des canaux, on a dérivé assez d’eau du fleuve pour verdir le sol et assécher le Colorado. L’immense plaine du sud-est de la Californie, encastrée dans un cirque de montagnes, est un jardin d’hiver qui fournira de quoi emplir les épiceries du Nord.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

L’un des canaux à Calexico conduisant l’eau du fleuve Colorado loin dans les terres

Gerry pointe des boîtes de carton sur le bord du chemin. Ce sont les semis. Les fermiers plantent la nuit, vu qu’il fait près de 40 degrés le jour. Et les plants ont soif. Il faut ouvrir une sorte d’écluse qui remplira un bout de canal. Tous les fermiers ont une pompe à eau avec un moteur à essence sur roue qui distribuera l’eau sur des centaines de mètres.

« Ils font pousser quoi ?

– De la luzerne. »

J’avais le goût de dire : « y a encore des gens qui mangent ça ? », et je crois que je l’aurais eu de mon bord.

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Jeunes pousses de luzerne

J’arrivais de la « mer de Salton », endroit aussi glauque que sublime. À première vue, c’est une immense étendue d’eau salée, le plus grand « lac » de Californie. J’y ai vu une multitude d’oiseaux de plage et de canards.

Mais ce qu’on prend d’abord pour une odeur d’algues devient vite une insupportable puanteur qui prend à la gorge, disons un subtil mélange d’entrailles de poissons morts et de cadavres de vaches. Je me suis approché du bord sur cette plage blanche. Mais elle recouvre une boue gluante vert et noir dans laquelle mon pied droit s’est enfoncé au complet.

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Vue de la « mer de Salton »

L’endroit est une mer préhistorique. Au XIXe siècle, on y exploitait une mine de sel. Mais en 1905, dans les travaux de construction des systèmes de canalisation, une erreur d’ingénierie est survenue et pendant deux ans, les eaux du fleuve Colorado se sont déversées ici. Résultat : un « lac » artificiel plus salé que l’océan, de 24 km sur 56 km. On y a introduit des poissons, certains y ont abouti naturellement. Les oiseaux en ont fait un refuge.

Ce qui était au départ un désastre est devenu une sorte d’oasis de villégiature. Toute une vie touristique s’est développée, et dans les années 1960 et 1970, c’était encore très prisé. Tout ça est terminé.

« Si je m’en souviens ? J’ai dans la mi-cinquantaine et j’ai passé des années formidables sur ce lac. J’ai fait du ski nautique, je me suis baigné, et la pêche ! Des poissons extraordinaires, le corvida, ça peut faire 20 livres. Mais c’est un désastre, maintenant. Ils parlent de faire venir l’eau par tuyau de l’océan… En tout cas, s’ils ne font rien, ça sera pire encore. »

La mer intérieure ne reçoit plus assez d’eau, notamment parce qu’on en envoie dans la région de San Diego.

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Irrigation des terres agricoles près de la « mer de Salton »

Alors la mer sèche. Devient de plus en plus salée. Les tilapias introduits survivent encore. Mais par moments, on a retrouvé des populations entières de poissons morts.

« L’eau qui s’y rend est celle de l’agriculture, pleine de pesticides », dit Gerry.

Au loin, derrière nous, deux immenses usines géothermiques récentes produisent de l’électricité.

« Je suis un de ces gars bizarres qui disent qu’on est sur un volcan, ici. Écoute, ça bout sous nos pieds, ils en sortent de la vapeur à pleins tuyaux. Si tu passes le pont, là-bas, tu trouveras cette pierre noire, comment ça s’appelle… de l’obsidienne !

– Et ?

– Eh ben, c’est une roche volcanique. En tout cas, faut que je travaille. »

Je lui parle de l’élection – en 2016, le comté a voté comme la Californie en général, plus de 60 % pour Hillary Clinton.

« C’est facile à savoir, qui vote pour qui. Ceux qui votent pour Biden, c’est ceux qui veulent tout avoir, mais pas travailler. Sais-tu combien j’ai fait d’heures supplémentaires cette semaine ? 56. Ça, c’est juste du supplémentaire. Dès que quelqu’un a été en contact avec quelqu’un ayant la COVID, il se retire pour deux semaines. Résultat : je travaille comme un fou. »

Il ne voulait pas de photo. Il m’a salué en touchant la palette de sa casquette, où l’on voyait sous la poussière la bannière étoilée.

***

Tout le long du mur, sur des kilomètres et des kilomètres, des champs de panneaux solaires ont remplacé d’anciennes terres agricoles. La Californie est de loin l’État qui produit le plus d’énergie solaire – 21 000 mégawatts, ce qui est à peu près la moitié de la production hydroélectrique du Québec.

« Peut-être que si on la développe encore, ça va améliorer un peu la situation pour l’eau », me dit Carlos Agurar. Il est superviseur pour une société de panneaux solaires.

Il est né en Espagne, il a voyagé. Il me dit qu’il n’a pas voté pour Trump en 2016 et fait des grimaces en le décrivant. Il ne lui trouve aucune qualité.

Puis, il commence à me parler des panneaux solaires. Nous sommes devant deux immenses terrains grillagés de deux sociétés différentes.

« Tu vois ceux-là ? C’est des panneaux faits aux États-Unis. C’est la Lamborghini des panneaux solaires. À droite, cette compagnie, ils ont des panneaux chinois. Ils coûtent deux fois moins cher, mais c’est comme la Tercel, mettons. Et comme il y a toujours de la poussière dans le désert, les panneaux chinois sont plus sensibles et ils produisent un tiers de moins très rapidement. »

Je ne voyais pas où il s’en allait. Je croyais qu’il allait vanter les politiques de soutien aux énergies alternatives sous Obama.

« J’ai un ami, il fabrique des fours industriels. Il est allé en produire en Chine. Un moment donné, il arrive chez un client au Brésil : ils ont son four, exactement pareil, mais tout écrit en chinois. Ils ont copié, tout simplement !

« Est-ce qu’on va les laisser tuer nos compagnies ? À ce prix-là, même s’ils sont moins bons, les gens achètent les panneaux chinois. Ils trichent. Ils trichent et personne ne fait rien. Et Trump, lui, il veut arrêter ça. Alors je pense bien que je voterai pour lui. »

J’avoue, je ne l’avais pas vu venir…

***

À Yuma, en Arizona, à la frontière de la Californie, impossible de trouver une chambre d’hôtel ces jours-ci. Les gens doivent porter le masque ici comme en Californie, mais plusieurs règles sont plus souples. Les écoles sont presque toutes fermées en Californie, mais partiellement ouvertes en Arizona. Et comme le sport organisé est interdit en Californie, des hordes de ligues de baseball ou de soccer venant de San Diego (à deux heures et demie) et parfois de plus loin viennent emplir les terrains de sport.

En circulant en ville, c’est d’abord « drive-thru liquor store » qui a attiré mon attention, une innovation qui permet d’acheter son whisky sans même sortir de la voiture.

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Service d’alcool au volant à Yuma

Tout à côté, des partisans de Trump avaient planté leur roulotte. Casquettes, tasses, drapeaux, affiches aux divers slogans, dont l’excellent « Trump 2020 No more bullshit », dont on ne sait si c’est une promesse électorale.

Kim Elrod, une infirmière retraitée, voulait un truc plus discret. Un masque, tiens. Oui, il y a deux modèles de masques pro-Trump, ils ne sont pas si antimasques qu’on pourrait le croire.

« Qu’est-ce que vous aimez chez lui ?

– Oh, je ne l’aime pas du tout personnellement. Il est trop agressif. Ce n’est pas lui que j’aime, c’est Biden qui est dangereux. C’est un véhicule de la gauche. Ce sera le socialisme. Puis tout de suite après, le communisme. C’est pour ça que je vote Trump. Comment je le sais ? J’écoute Fox News toute la journée. La pandémie ? Oui, je suis infirmière, mais qu’est-ce que ça change ? Qu’est-ce qu’il aurait pu faire de mieux ? Je ne vois pas. »

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Kim Elrod choisit son masque pro-Trump

Un énorme pick-up, un truc assez gros pour tirer une maison, un pick-up donc, a ralenti et klaxonné plein de fois. Tout le monde dans cette boutique trumpiste improvisée s’est retourné en croyant que c’était en guise d’encouragement.

Mais le conducteur a hurlé : « Sortez le moron de la Maison-Blanche ! »

Kim a haussé les épaules.

« Je vais vous prendre le masque bleu. »