(New York) La question du journaliste Jake Tapper à Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts et candidate à la présidence des États-Unis, était directe : «Quel rôle la foi religieuse joue-t-elle dans votre vie publique et privée ?»

La native de l’Oklahoma, connue pour ses combats contre Wall Street, n’a pas bronché. Elle a d’abord évoqué son éducation dans la foi méthodiste et son rôle d’enseignante à l’école biblique du dimanche. Puis elle a souligné «les deux choses» qu’elle avait retenues de son passage préféré de l’Évangile, celui où Jésus dit à ses fidèles : «Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites.»

«La première est qu’il y a un Dieu. Chaque être humain a une valeur. La deuxième est que nous sommes appelés à l’action», a-t-elle dit lors d’une assemblée publique tenue en mars dernier à Jacksonville, dans le Mississippi, et diffusée en direct sur CNN.

Au Québec, la semaine dernière, François Legault a créé un certain émoi en exprimant le souhait «que Dieu existe». Le premier ministre caquiste s’aventurait sur un terrain très peu fréquenté par les politiciens de sa province, celui de la foi religieuse.

Or, la course à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2020 démontre que les républicains ne sont pas les seuls, aux États-Unis, à invoquer Dieu en campagne. Elizabeth Warren, que personne ne confondra avec une grenouille de bénitier, en a donné la preuve, tout comme Pete Buttigieg et Kamala Harris, entre autres.

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Pete Buttigieg

Étoile montante du Parti démocrate et épiscopalien pratiquant, Pete Buttigieg est le plus actif des aspirants à la présidence sur le front religieux. Le mois dernier, le jeune maire de South Bend, dans l’Indiana, a notamment tenu à faire savoir au vice-président Mike Pence, ténor de la droite religieuse, que son mariage homosexuel l’avait «rapproché de Dieu».

Il a enchaîné la semaine dernière en affirmant que la religion n’était pas un «gourdin» dont on peut se servir «comme si Dieu appartenait à un parti politique». «Si c’était le cas, je ne peux imaginer que ce serait [le parti] qui a envoyé le président actuel à la Maison-Blanche», a-t-il déclaré sur NBC, se servant lui-même de la religion comme d’un gourdin.

En lançant sa campagne présidentielle devant plus de 20 000 partisans à Oakland, Kamala Harris a également fait allusion à la religion. Mais, contrairement à Pete Buttigieg, la politicienne de confession baptiste ne cherchait pas à courtiser les chrétiens évangéliques blancs. Elle voulait mobiliser l’électorat afro-américain.

«Quand les abolitionnistes ont parlé et que les militants des droits civiques ont marché, leurs oppresseurs ont dit qu’ils divisaient les races et violaient la parole de Dieu. Mais Frederick Douglass l’a bien dit – et Harriet Tubman et [Martin Luther] King le savaient : aimer la religion de Jésus, c’est haïr la religion du maître d’esclave.»

Mais n’y a-t-il pas au moins un athée parmi la vingtaine de candidats présidentiels en lice chez les démocrates? «Il y a un homme gai, six femmes, trois Afro-Américains, un Sino-Américain, plusieurs catholiques et protestants, et même une hindoue. Mais il y a une absence criante : pas un seul candidat ne s’identifie publiquement comme un athée», a noté la semaine dernière le chroniqueur du Washington Post Max Boot.

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Kamala Harris

Un candidat à la Maison-Blanche courrait certes un grand risque en niant publiquement l’existence de Dieu. Selon un sondage Gallup réalisé en 2015, les Américains préféreraient avoir un président musulman, gai ou juif plutôt qu’un président athée.

Lors de sa première campagne présidentielle, Bernie Sanders, juif non pratiquant, a parfois donné l’impression d’être un adepte de l’humanisme séculier. À l’animateur de télévision Jimmy Kimmel qui lui demandait s’il croyait en Dieu, il a répondu, comme s’il était lui-même Dieu s’adressant à Moïse : «Je suis qui je suis.»

«Et ce en quoi je crois, ce en quoi consiste ma spiritualité, c’est que nous sommes tous dans le même bateau, a-t-il ajouté. Je pense que ce n’est pas une bonne chose, comme êtres humains, de tourner le dos à la souffrance des autres. Ce n’est pas du judaïsme. C’est ce dont parle le pape François.»

Un mois plus tard, lors d’une assemblée publique au New Hampshire, le sénateur du Vermont a semblé tourner le dos à l’humanisme athée : «Je ne serais pas ici ce soir, je ne briguerais pas la présidence des États-Unis si je n’avais pas de forts sentiments spirituels et religieux.»

Joe Biden n’entretient pas la même ambiguïté à l’égard de la religion. Catholique pratiquant, il porte autour du poignet gauche un rosaire. Il s’agit d’un cadeau que son fils cadet, Hunter, a fait à son fils aîné, Beau, mort en 2015, après un pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe, au Mexique.

L’ancien vice-président a souvent parlé du réconfort qu’il puise dans sa foi pour affronter les épreuves de la vie. «Je vais à la messe, et je suis capable d’être seul, même dans une foule», a-t-il déclaré à l’animateur de télévision Stephen Colbert après la mort de son fils.

N’empêche, les dirigeants de l’Église catholique américaine ont déjà critiqué sévèrement ce politicien qui défend le droit des femmes à l’avortement. En 2008, plusieurs évêques ont déclaré qu’ils refuseraient la communion au colistier de Barack Obama s’il allait à la messe dans leur diocèse.

Catholique ou protestant, juif ou hindou, le gagnant de la primaire démocrate affrontera évidemment un adversaire de taille : un président sortant dont les partisans les plus religieux croient qu’il a été choisi par Dieu lui-même.