L'Union européenne et les États-Unis ont sanctionné lundi de hauts responsables russes ou pro-russes ukrainiens pour riposter à Moscou après la décision sans précédent de la Crimée de se jeter dans les bras de la Russie.

Dans ce qui ressemble à une fin de non-recevoir aux pressions américaines et européennes, le président russe Vladimir Poutine a reconnu l'indépendance de la Crimée, préalable à son annexion, selon un décret paru lundi.

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Pour répondre aux autorités séparatistes de Crimée, au lendemain du plébiscite référendaire de rattachement à Moscou, Kiev a aussi lancé une mobilisation partielle de ses forces armées et a rappelé son ambassadeur en Russie.

Annoncées quasiment simultanément à Bruxelles et Washington, les sanctions européennes et américaines concernent un nombre limité de responsables russes et ukrainiens et épargnent a priori Vladimir Poutine, mais frappent très près du président russe, au moins côté américain.

Onze personnes sont visées selon la Maison-Blanche: sept Russes et quatre personnes accusées de collusion avec la Russie en Ukraine, dont le président déchu Viktor Ianoukovitch et un conseiller, ainsi que deux dirigeants séparatistes de Crimée, Sergiï Axionov et Volodymyr Konstantinov.

Parmi les Russes, qui voient ainsi leurs éventuels avoirs gelés aux États-Unis, figurent le vice-premier ministre Dmitri Rogozine, la présidente du Conseil de la Fédération (chambre haute du Parlement russe), Valentina Matvienko, ainsi que deux proches conseillers de M. Poutine (Vladislav Sourkov et Sergueï Glaziev) et deux élus de la Douma.

Depuis la Maison-Blanche, le président Barack Obama a prévenu qu'il était prêt à imposer des sanctions supplémentaires si Moscou ne changeait pas de comportement. «De nouvelles provocations ne feront qu'isoler davantage la Russie et réduire sa stature dans le monde», a-t-il mis en garde.

Ces mesures «envoient un message fort au gouvernement russe, sur le fait que les actes de violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine ont des conséquences», a martelé la Maison-Blanche.

M. Rogozine a réagi avec ironie à ces sanctions: «Camarade Obama, et que doivent faire ceux qui n'ont ni compte ni propriété à l'étranger? Ou bien vous n'y avez pas pensé?», a-t-il écrit sur Twitter. De son côté, Mme Matvienko, troisième personnage de l'État, a dénoncé un «chantage politique» et elle aussi assuré ne pas avoir de biens à l'étranger.

Dans le même temps, les ministres européens des Affaires étrangères ont «décid(é) des sanctions - restrictions de visas et gels d'avoirs - contre 21 responsables ukrainiens et russes», a annoncé le ministre lituanien Linas Linkevicius. MM. Axionov et Konstantinov y figurent, ainsi que des militaires russes actifs en Crimée selon une liste parue au Journal officiel de l'Union européenne.

Sanctions inédites depuis 1991 

Mais il n'y a pas, pour l'instant, de ministres du gouvernement russe visés, a-t-on précisé de source diplomatique. M. Linkevicius a précisé que l'UE prendrait des «sanctions supplémentaires dans les prochains jours».

À leur arrivée lundi à Bruxelles pour leur réunion mensuelle, tous les ministres européens des Affaires étrangères ont exprimé leur fermeté à l'égard de Moscou. «Nous essayons d'envoyer le message le plus fort possible à la Russie» afin qu'elle «comprenne combien la situation est grave» au lendemain du «soi-disant» référendum en Crimée, a résumé Catherine Ashton, la chef de la diplomatie de l'UE.

De telles sanctions sont inédites dans l'histoire des relations UE-Russie depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991.

Les Européens estiment toutefois qu'il n'est pas trop tard pour qu'une solution politique soit trouvée. «Il faut faire preuve de beaucoup de fermeté et en même temps trouver les voies du dialogue et ne pas aller vers l'escalade», a déclaré le ministre français Laurent Fabius.

L'option militaire exclue, les Occidentaux comptent sur l'impact d'un isolement international croissant de la Russie. Ils se réservent ainsi la possibilité d'imposer des sanctions économiques et commerciales, susceptibles d'avoir des conséquences bien supérieures car les États-Unis et l'UE comptent parmi les trois principaux partenaires de Moscou.

Poutine s'exprimera mardi 

Toutefois, le chef de la diplomatie britannique, William Hague, a concédé que «personne ne fait semblant de penser que (ces sanctions) vont changer le raisonnement du président Poutine», lequel s'exprimera mardi devant le parlement russe.

Proclamation d'indépendance, demande de rattachement adressée à Moscou, dissolution annoncée des unités militaires ukrainiennes, introduction du rouble: les autorités séparatistes de la Crimée ont, elles, brûlé les étapes pour rejoindre le giron russe.

Selon les résultats définitifs du référendum, près de 97 % des votants ont choisi le rattachement de la péninsule ukrainienne à la Russie.

En réponse, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon s'est déclaré «très déçu et inquiet» et a souhaité une solution politique incluant «le respect de l'unité et de la souveraineté de l'Ukraine».

Mais la Crimée est déjà à l'heure de Moscou.

D'après son parlement, les lois ukrainiennes ne s'y appliquent plus et Kiev n'y exerce plus aucune autorité. Le président du parlement sécessionniste Volodymyr Konstantinov a précisé que les unités militaires ukrainiennes présentes en Crimée «seraient dissoutes» et que les soldats ukrainiens devaient se «rallier ou partir».

La Crimée passera le 30 mars au fuseau horaire de Moscou, a indiqué le premier ministre pro-russe Serguiï Axionov, avant de prendre l'avion pour Moscou.

À Kiev, le Parlement ukrainien a approuvé au même moment une mobilisation partielle de ses forces armées pour faire face à «l'ingérence de la Russie dans les affaires intérieures de l'Ukraine», au lendemain d'un référendum que le président par intérim Olexandre Tourtchinov a qualifié de «grande farce».

Les députés ont également approuvé l'octroi de près de 6,9 milliards de hryvnias supplémentaires (plus de 815 millions de dollars) pour assurer l'aptitude au combat des forces armées. Les soldats ukrainiens déployés en Crimée «resteront là-bas», a affirmé le ministre ukrainien de la Défense Igor Tenioukh.

À Moscou au contraire, les médias saluaient presque tous le résultat du référendum. «Gloire à la Crimée», titrait le quotidien Kommersant.

L'ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev a salué lundi le résultat du référendum. «Si la Crimée a à l'époque été unie à l'Ukraine selon des lois soviétiques, (...) sans demander son avis au peuple, aujourd'hui ce peuple a décidé de corriger cette erreur», a-t-il dit.

Gorbatchev salue le référendum

L'ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev a salué lundi le résultat du référendum en Crimée sur le rattachement de la péninsule à la Russie et fustigé l'idée des Occidentaux d'imposer des sanctions à l'égard de responsables russes et ukrainiens.

«Si la Crimée a à l'époque été unie à l'Ukraine selon des lois soviétiques (...) sans demander son avis au peuple, aujourd'hui ce peuple a décidé de corriger cette erreur. Il faut saluer cela, et non annoncer des sanctions», a-t-il déclaré, cité par l'agence Interfax.

La péninsule de la mer Noire avait été offerte à l'Ukraine par le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev en 1954.

«Pour décréter des sanctions, il faut des raisons très sérieuses. Et elles doivent être soutenues par l'ONU», a estimé M. Gorbatchev.

«L'expression de la volonté du peuple de Crimée et son incorporation à la Fédération de Russie en tant que région n'est pas une raison suffisante», a-t-il jugé.

Près de 97 % des votants ont approuvé dimanche le rattachement de cette péninsule ukrainienne à la Fédération de Russie, qui a proclamé lundi son indépendance.

Dans la foulée, l'Union européenne a adopté des sanctions contre 21 personnalités ukrainiennes et russes jugées responsables de l'annexion de la Crimée par la Russie, selon le ministre lituanien des Affaires étrangères.

PHOTO NATALIA KOLESNIKOVA, ARCHIVES AFP

Mikhaïl Gorbatchev, 82 ans, est apparu le visage bouffi, et fatigué lors de ses dernières interventions publiques.