Restée «neutre» sur le conflit libyen, mais accusée par les rebelles de soutenir Mouammar Kadhafi, l'Algérie est encore plus embarrassée envers le Conseil national de transition (CNT) depuis l'entrée sur son territoire pour «raisons strictement humanitaires» de proches de l'ex-homme fort de Libye.

L'annonce de l'arrivée de trois enfants de Kadhafi, Aïcha, qui a accouché d'une petite fille mardi en terre algérienne, Mohammed et Hannibal, ainsi que de Safia, la seconde épouse de Kadhafi, «ne va pas mettre de l'huile dans les rouages», estime un spécialiste du Maghreb contemporain, Pierre Vermeren.

«Maintenant qu'une partie de sa famille y est, l'hypothèse d'un Kadhafi se réfugiant en Algérie devient crédible», juge-t-il, rejoignant ainsi le CNT qui n'a eu de cesse d'accuser Alger d'être pro-Kadhafi.

Pour le CNT, le comportement de l'Algérie ces derniers mois vis-à-vis de la Libye s'apparente à un «acte d'agression».

Son représentant à Londres, Guma Al-Gamaty, l'a souligné mardi en jugeant «très imprudent» le comportement de ce pays voisin. Il a réitéré des accusations, pourtant démenties plusieurs fois avec force par Alger, mais aussi par Washington et Paris, d'envoi de mercenaires pour soutenir l'ex-homme fort libyen contre la rébellion.

Et, depuis Tripoli, le vice-président du comité exécutif du CNT, Ali Tarhuni a déclaré mardi soir: «Nous espérons que le gouvernement algérien (...) coopèrera avec nous pour arrêter cette famille corrompue qui a opprimé le peuple libyen et volé ses ressources pendant 42 ans».

«En mars, a pour sa part rappelé Pierre Vermeren, quand Kadhafi a essayé d'écraser la rébellion, la Tunisie avait ouvert ses frontières alors que l'Algérie a fermé les siennes».

«On comprend donc tout à fait qu'à la chute de Kadhafi, ils (les dirigeants algériens) se trouvent extrêmement embarrassés», a-t-il ajouté.

L'Algérie, qui assure maintenir une attitude de «stricte neutralité» dans le conflit de Libye vieux de plus de six mois, est le seul pays d'Afrique du Nord à n'avoir pas reconnu le CNT.

«Sur la Libye, l'Algérie a pris une position en décalage avec l'ensemble des États voisins», constate Didier Le Saout, expert sur le Maghreb, enseignant à Paris VIII.

L'Algérie s'inquiète de «la dimension islamiste très présente, très importante» au sein du CNT, note Kader Abderrahim, professeur à l'Université de Californie.

Pourtant rappellent de nombreux experts, les relations d'Alger avec Kadhafi n'ont jamais été bonnes, les autorités algériennes accusant le dirigeant libyen de vouloir imposer son hégémonie sur les Touaregs de la région, ainsi que d'avoir livré des armes aux islamistes algériens durant la guerre civile.

Traumatisée par les 200 000 morts de cette guerre, l'Algérie met en garde depuis des mois contre le danger terroriste en Libye, selon elle, avec laquelle elle partage plus de 1 000 km de frontière en plein Sahel.

Elle a dénoncé plusieurs fois le transfert d'armes libyennes à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi, créé par des islamistes armés algériens) qui opère dans le Sahel.

Et, pendant le mois de ramadan (août), elle a subi une recrudescence d'attentats, dont le plus meurtrier vendredi dernier contre sa prestigieuse académie militaire à Cherchell a tué 18 personnes, 16 officiers - dont trois étrangers - et deux civils. Une action revendiquée par Al-Qaïda pour lui faire faire payer son «soutien» à Kadhafi.

Cependant, «le CNT a intérêt à se rabibocher avec les Algériens pour stabiliser le Sahel et faire la traque à tous ces gens armés», estime M. Vermeren. «Ils sont obligés de s'entendre sinon la situation sécuritaire risque de se dégrader dans toute la région».

Abdelhamid Mehri, ancien dirigeant du gouvernement à l'indépendance, veut que l'Algérie «clarifie sa position» vis-à-vis de la Libye. Elle a jusqu'à présent péché «de n'avoir pas été assez claire pour préparer l'avenir».

Les révolutions dans les pays arabes voisins ont probablement mené le pouvoir algérien à adopter cette «prudence», indique-t-il.

D'autant que l'Algérie n'a pas échappé à la contestation interne, ce qui explique la «certaine fébrilité des autorités algériennes», note Karim Emile Bitar, chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).